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de Ribbing, dans une salle du château où l’on était réuni, il l’entendit proférer ces propres paroles « On se donne bien de la peine pour chercher l’assassin parmi les gentilshommes suédois, tandis que c’est vraisemblablement quelque coquin de Français. — Monsieur le comte de Ribbing; répondit Armfelt, — que j’avais connu, dit d’Escars, capitaine de grenadiers dans le Royal-Suédois au siège de Gibraltar, et qui parlait français comme un riverain de la Garonne, — je crains bien, moi, que ce ne soit plutôt quelque coquin de gentilhomme suédois. » Au même instant, les portes s’ouvrent, et le chef de la police annonce que l’assassin est découvert, qu’il s’appelle Anckarström. Ribbing n’ajouta rien et continua de se chauffer adossé à la cheminée. »

Tout souvenir des fautes par lesquelles Gustave III s’était attiré le mécontentement général partit effacé dans l’esprit de la nation durant les treize jours qu’il vécut encore. Il fallut protéger contre l’indignation populaire les familles des régicides. La bourgeoisie envoya l’expression de son dévouement, et plusieurs des principaux nobles, repoussant toute solidarité avec les assassins,. vinrent protester contre eux aux pieds du roi. Quand se présenta le vieux et respectable comte de Brahé, l’un des chefs de cette noblesse restée loyale, Gustave l’attira dans ses bras en disant : « Je bénis ma blessure, puisqu’elle me fait retrouver un vieil ami qui s’était éloigné de moi. Embrassez-moi, mon cher comte, et que tout soit oublié entre nous ! » Toutes les bonnes qualités de Gustave reparaissaient dans le malheur : l’enquête ouverte contre les coupables découvrant chaque jour, même après l’arrestation des régicides, des complicités nouvelles; il refusa de connaître les noms, puis confia le soin de les tenir secrets à une commission spéciale chargée d’instruire l’affaire et présidée par le duc de Sudermanie. Il exprima même le vœu formel que, si l’assassin devait périr, on fît du moins grâce de la vie à tous ses complices. Une politique prudente pouvait lui dicter cette conduite, mais il obéissait aussi à une inspiration de clémence et de bonté dont on doit lui tenir compte.

Cependant il se sentait mourir; ses derniers momens, jusqu’au 29 mars, s’écoulèrent dans un extrême abandon. Sa mère, la sœur du grand Frédéric, était morte en juillet 1782, refusant tout secours religieux et invoquant de ses médecins le poison, afin d’en finir plus vite on sait quels autres souvenirs elle lui avait laissés. Sa femme et son fils parurent à peine à son chevet l’excès des soupçons qui planèrent jusque sur la reine et sur sa complicité avec la faction danoise était sans doute immérité; mais il n’en est pas moins évident que Sophie-Madeleine poursuivit jusqu’à la fin ce rôle d’insensibilité auquel Gustave III, qui en souffrait, n’avait jamais su