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rière en longeant le côté gauche de la rivière, rencontre un contrefort saillant, le Gurtnellen, qu’elle attaque par un souterrain creusé en demi-cercle ; puis, achevant le tour qu’elle vient de dessiner, elle se retrouve à 180 mètres au-dessus du thalweg. On rencontre ici pour la première fois sur ce chemin l’application du système des rampes en spirale ou en boucle qui sert à remonter les vallées trop abruptes[1]. La partie inférieure de la boucle, coupée en deux par le pont qui traverse la Reuss, comprend deux tunnels, l’un de 771, l’autre de 855 mètres ; la partie supérieure consiste en un tunnel unique de 1,656 mètres. En sortant de la terrasse du Gurtnellen, après avoir achevé la spirale qu’il vient de décrire, le chemin entre dans une région rocheuse très accidentée qui nécessite une série de petits tunnels. Un magnifique torrent, la Mayenreuss, qui passe au milieu de ces roches, est franchi par un pont de 54 mètres de hauteur. C’est là que le général Loison, arrivant pour rejoindre Lecourbe dans la campagne dont nous avons précédemment rappelé le souvenir, vint se heurter contre un bastion autrichien qui n’était abordable que par un sentier escarpé. Il livra cinq assauts meurtriers pour enlever cette position formidable, et il dut en grande partie son succès aux carabiniers vaudois, dont le tir admirable démonta les canons de l’ennemi. Après avoir dépassé de 14 kilomètres 1/2 le village de Wyler, la voie, qui retourne de la rive gauche sur la rive droite de la Reuss, atteint bientôt la station de Gœschenen, située à 1,110 mètres au-dessus du niveau de la mer. A Gœschenen doit s’ouvrir le grand tunnel qui s’enfoncera sous le mont Saint-Gothard.

Arrêtons-nous un instant, et, avant de parler de cet immense souterrain, jetons un coup d’œil sur la région où il commence et sur le massif de la montagne sous laquelle il doit passer. À notre gauche se dresse la paroi sous laquelle la voie ferrée va entrer à droite monte la vallée de Gœschenen, dont la pente longue et roide est couronnée par la crête brillante du glacier de Dammafirn. En face de nous s’ouvre une fente étroite, taillée entre deux murs granitiques presque verticaux ce sont les Schœllenen ; c’est par là que la Reuss vient à notre rencontre c’est par là que la route postale monte pour chercher le sommet du col. Plus nous gravissons les lacets de cette route, plus nous nous sentons dominés par la puissance des forces naturelles et par la majesté de la solitude. Le long de ce versant abrupt, la vie organique s’éteint. Quelques pins chétifs, quelques herbes desséchées apparaissent de loin en loin au

  1. Nous en retrouverons plus loin au second exemple sur le versant méridional du Saint-Gothard.