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milieu des débris que l’action des vents et des glaces détache du haut des crêtes et qui remplissent le fond de la gorge. Tout en bas, la Reuss roule ses eaux violentes, bat les blocs qui obstruent son lit, lutte avec impatience contre les anfractuosités des rochers et remplit l’espace du bruit de ses chutes. La voix du vent qui se mêle à celle du torrent, l’aspect de ces escarpemens dénudés, les immenses fendillemens des roches, l’étroit espace à travers lequel on aperçoit le ciel, tout se réunit pour nous donner l’idée d’un cataclysme de la nature. Un détour subit de la route nous place en face d’une magnifique cascade à travers laquelle on aperçoit deux arcs voûtés. Le premier et le plus bas est une ruine toute couverte d’herbes et de mousses ; c’est l’ancien pont du Diable, celui qui s’effondra sous les soldats de Lecourbe. Le second et le plus élevé est le nouveau pont, ouvrage tout à fait moderne il conduit la route, à travers la poussière même de la cascade, dans un tunnel appelé le Trou d’Uri, qui a fait l’orgueil et la gloire du constructeur de ce souterrain au commencement du XVIIIe siècle. La galerie du tunnel nous mène dans la vallée d’Urseren, qui présente l’aspect d’un grand bassin à fond plat ; elle est couverte de pâturages et entourée par les cimes du Saint-Gothard. Là se réunissent les différentes sources de la Reuss qui descendent de l’Ober-Alp, de la Furka et du Saint-Gothard lui-même ; là aussi se trouve le village d’Andermatt, où viennent converger les routes militaires récemment construites par le gouvernement fédéral. De ce point, la route postale va gagner l’hospice situé au sommet du col, puis elle descend jusqu’à Airolo, par la vallée de la Tremola.

C’est entre Gœschenen, dont nous parlions il y un instant, et le village d’Airolo, où nous sommes maintenant parvenus, que doit s’étendre en droite ligne le tunnel du Saint-Gothard. Entré dans le flanc de la montagne à 1,110 mètres d’altitude, il en sort à 1,135 mètres. La longueur totale du tunnel atteint 14k,8. Il présente une double pente, l’une de 7 millièmes, en montant, pendant les 7,500 premiers mètres, l’autre de 10 millièmes, en descendant, pendant les 7,300 derniers. Le point culminant se trouve ainsi à peu près au milieu du souterrain, et l’écoulement des eaux doit se faire sans difficulté pendant les travaux. Le projet ne comporte d’ailleurs qu’un seul puits à percer pour abréger la construction du tunnel ; ce puits doit être situé à 3,500 mètres de l’orifice septentrional ; il aura 303 mètres de profondeur il économisera une année de travail et amènera une réduction de près d’un million de francs dans les frais de l’entreprise. Le profil géologique du grand tunnel a été dressé par M. Escher de la Linth et étudié plus tard d’une manière plus détaillée par une commission italienne que dirigeait