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temps tardé à être présentées à l’opinion publique ? Parmi nos hommes politiques, parmi ceux qui auraient voué leurs pensées et leur talent à l’étude, à la découverte, à la défense des intérêts publics, s’imagine-t-on qu’il ne s’en fût point trouvé pour instruire depuis longtemps la question algérienne et associer leur renommée et on peut dire leur juste ambition à la fortune de notre grande colonie ? Se figure-t-on qu’il eut été besoin d’attendre quinze années pour conduire sous le regard attentif de tous cette immense enquête et saisir l’opinion de ce grand procès ? Suppose-t-on que, sous l’influence d’une vaste controverse nationale qui eût attiré vers l’Algérie les imaginations sans cesse éveillées et les intérêts constamment informés, nous n’en serions encore à montrer sur nos rivages méridionaux de la Méditerranée que moins de deux cent mille Européens, dont un peu plus de cent mille Français ? Nous supplions qu’on ne voie dans les doutes que nous exprimons ici aucune intention de récrimination malveillante ; nous n’obéissons qu’au devoir de recueillir les enseignemens à l’heure où les choses les donnent, et il nous est impossible de retenir un cri de douleur quand nous songeons que des intérêts essentiels et permanens du pays, des intérêts auxquels sont attachés la fortune et l’honneur de la France, des intérêts auxquels l’intelligence et l’âme du pays devraient être associés par la possession et l’exercice habituel des plus larges franchises politiques, pourraient être compromis par les causes qui entretiennent l’indolence, l’incurie et la frivolité de l’esprit public. Et ces regrets, nous les témoignons avec confiance, car après tout qu’a fait l’empereur en publiant ce programme ? Lui, chef d’état, investi des attributions que la constitution lui confère, avait-il besoin de cette publicité ? Des ordres donnés à ses ministres ou au gouverneur-général de l’Algérie, quelques projets de loi à faire présenter au corps législatif, un sénatus-consulte au plus, n’eussent-ils point suffi pour assurer l’exécution de ses plans ? L’empereur a cependant senti qu’en cette circonstance il avait besoin d’un concours qui domine les routines administratives et législatives ; il a senti qu’il fallait sur cette capitale question éveiller l’opinion publique par un coup de fouet inusité et obtenir d’elle un assentiment explicite.

La publication de la lettre au maréchal Mac-Mahon démontre surabondamment que l’empereur croit avoir besoin en cette circonstance d’un énergique concours de l’opinion publique. C’est précisément pour cela que nous insistons sur les conditions auxquelles le concours de l’opinion publique peut devenir constant et efficace. On commettrait une puérile méprise, si l’on attribuait notre façon de voir à une bouderie libérale. Notre sentiment est tellement conforme à la nature des choses que nous en trouvons à l’instant même la piquante confirmation dans un des journaux les plus éclairés de l’Europe, la Saturday Review. Ce journal applaudit à la brochure et aux innovations proposées par l’empereur ; « mais, ajoute-t-il, l’excellence même des changemens proposés nous fait penser à ce qu’il y a de purement accidentel dans le fait même que ces changemens aient été