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des voûtes plafonnées d’azur et d’étoiles. Le soleil couchant entre par les portes, et l’énorme vaisseau, avec sa forêt de colonnes, poudroie dans l’ombre au-dessus de la foule agenouillée dans les nefs, dans les chapelles, autour des piliers, La multitude fourmille indistinctement dans la noirceur profonde jusqu’au pied de l’autel, qui tout d’un coup, avec ses candélabres, ses figures de bronze, les chapes damasquinées de ses prêtres et toute la prodigue magnificence de son orfèvrerie et de ses lumières, se lève comme un bouquet de splendeurs magiques.


Sienne, 8 avril.

J’ai passé dans cette église la moitié de la journée ; on y passerait aisément la journée entière. Pour la première fois, ailleurs que dans les estampes, je vois le gothique italien, la première des deux renaissances, moins pure que l’autre, mais plus spontanée.

Au plus beau moment de leur gloire, en 1225, ils voulurent avoir une cathédrale qui fût le plus grand monument de l’Italie, et commencèrent à bâtir autour de l’ancienne en élargissant la colline qui la portait. Des craquemens se firent, et on s’inquiéta. Un concile d’architectes et de maçons ayant conseillé d’avancer, on continua ; mais des craquemens plus forts ébranlèrent les constructions nouvelles, et après un siècle de tâtonnemens et de travail[1] on en revint à la première église, qu’on se contenta d’agrandir ; on élargit la nef, et l’on bâtit le grand hexagone qui porte le dôme. A tant de hasards et de raccords joignez les disparates de style. Le portail brodé de statues hérisse au-dessus de ses trois portes trois frontons aigus, au-dessus de ses frontons trois pignons aigus, autour de ses pignons quatre clochers aigus, et toutes ces pointes sont crénelées de dentelures ; mais les portes sont des cintres romains ; la façade, malgré ses angles allongés, a des réminiscences latines ; les ornemens ne sont point un filigrane, les statues ne sont point une multitude. L’architecte aime les formes élancées qui lui viennent d’outre-mont, mais il aime aussi les formes solides que lui a léguées la tradition antique. Si à l’intérieur il assemble ses colonnes en piliers, s’il effile et contourne aux fenêtres les meneaux et les trèfles, s’il courbe la nef en ogives, il porte en haut dans l’air la rondeur aérée du dôme, il fleuronne les chapiteaux d’acanthes corinthiennes, il répand dans toute son œuvre un air de joie et de force par la bonne assiette des formes, par l’ouverture mesurée des jours, par la bigarrure luisante des marbres. Son église est chrétienne, mais d’un christianisme autre que celui du nord, moins grandiose et moins passionné, mais moins maladif et moins

  1. 1339.