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laïque s’était développé chez eux, comme jadis en Grèce, parmi des mœurs libres, rudes et saines, et non pas, comme deux, cents ans plus tard, au milieu de l’asservissement et des corruptions de la décadence !

Le dernier de ces édifices, le Campo-Santo, est un cimetière dont la terre, rapportée de Palestine, est sainte. Quatre grands murs de marbre poli l’entourent de leur paroi blanche et pleine. Au dedans, une galerie carrée fait promenoir et ouvré sur la cour par des arcades treillissées de fenêtres ogivales. Elle est remplie de monumens funèbres, bustes, inscriptions, statues de toute forme et de tout âge. Rien de plus noble et de plus simple. Une charpente de bois sombre soutient la voûte. En face monte un dôme, et l’arête nue des toits coupe le cristal du ciel. Aux angles, quatre cyprès remuent, paisiblement effleurés par la brise. L’herbe pousse dans la cour avec une fraîcheur et un luxe sauvages. Çà et là une fleur grimpante enlacée autour d’une colonne, un petit rosier, un buisson, luisent sous une ondée de soleil. Nul bruit, le quartier est désert ; seulement de loin en loin l’on entend la voix d’un promeneur qui retentit comme sous une voûte d’église. C’est le vrai cimetière d’une cité libre et chrétienne ; on était bien ici devant les tombes des grands hommes pour penser à la mort et à la chose publique.

Tout le pourtour intérieur est couvert de fresques ; la peinture du XIVe siècle n’a pas d’ossuaire plus complet. Les deux écoles de Florence et de Sienne s’y sont réunies, et c’est un spectacle étrange que celui de leur art incertain entre deux tendances, arrêté dans son impuissance comme une chrysalide immobile qui n’est plus chenille et n’est pas encore papillon. L’ancien sentiment du monde divin s’est affaibli, et le sentiment nouveau du monde naturel est encore faible, A droite de la porte d’entrée, Pietro d’Orvieto a peint un Christ énorme qui, sauf les pieds et la tête, disparaît presque entier sous un disque immense représentant la figure du monde et sous l’enroulement des sphères ; c’est l’esprit de la symbolique primitive. Tout à côté, dans son histoire de la création et du premier couple, Adam et Eve sont des corps bien nourris et pleins, gros, patauds, réels, visiblement copiés d’après le nu. Un peu plus loin, Abel et Caïn dans leurs peaux de bêtes ont des figures vulgaires prises sur le vif dans une rue et dans une rixe. Les pieds, les jambes, l’ordonnance, restent barbares, et ce réalisme ébauché n’aboutit pas. — De l’autre côté, et avec les mêmes disparates, une grande fresque de Pietro Lorenzetti représente la vie ascétique. Ce sont quarante ou cinquante scènes dans le même tableau : un ermite lisant, un autre dans un rocher creux, un autre juché dans un arbre, celui-ci qui prêche vêtu de ses cheveux, celui-là tenté par