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d’un scandale ? Dans un pays libre, la fraude est d’ailleurs toujours dénoncée par l’adversaire qui la surveille. Rappelez-vous les joueurs aigrefins qui se volent l’un l’autre, mais dont les tricheries équilibrées aboutissent à une égalité parfaite.


7 novembre.

Ce matin, à son réveil, la ville apprend avec stupeur qu’elle vient d’échapper à un danger terrible. On a surpris un vaste complot ourdi par les démocrates et les rebelles, et qui devait éclater demain. Il s’agissait, disent les affiches placardées aux bureaux des journaux républicains, de délivrer les dix mille prisonniers du camp Douglas, de leur donner des armes, de saccager et de brûler la ville. Les sons of liberty ont préparé le crime. Les conjurés ont des complices à Chicago. Deux ou trois colonels, un capitaine, un juge (engeance titrée qui foisonne en Amérique, — on y trouve des colonels qui sont cabaretiers et des majors qui sont cochers de fiacre), nombre de dignitaires municipaux et d’officiers de la milice ont été mis en prison. On a pris soixante guérillas venus du sud, qui attendaient le signal. On a saisi deux chariots pleins d’armes et de munitions de guerre. Voilà du moins ce qu’annoncent les affiches brèves, mystérieuses, comme effrayées, autour desquelles le peuple se presse avec stupeur. Au bureau de l’Evening Journal sont exposés à la foule ébahie des échantillons formidables de l’arsenal avec lequel on devait armer les dix mille prisonniers rebelles : un gros pistolet d’arçon, un revolver de combat, un petit pistolet de poche dans son étui, une petite poudrière, et une boîte à capsules grosse comme une montre. L’arsenal des conspirateurs tiendrait tout entier dans une boîte de bonbons. J’oubliais la pièce la plus redoutable et la mieux faite pour répandre la terreur : un grand couteau rouillé, semblable au tronçon d’un vieux sabre, « trouvé (dit avec trois points d’exclamation une pancarte collée à la vitrine) sous la chemise d’un homme qui a répondu, lorsqu’on lui en a demandé l’usage : C’est pour couper la gorge aux abolitionistes ! » Voilà par quelle mise en scène on émeut le peuple le plus éclairé du monde ! Les républicains s’indignent ; les démocrates, surpris ou feignant de l’être, répondent qu’ils sont victimes d’une odieuse machination. C’est, disent-ils, une ruse grossière, un prétexte pour faire des arrestations intimidantes et de menaçans mouvemens de troupes ; les accusés sont des espions, des compères, les prétendus guérillas des agens de la police. Aussitôt nouvelle affiche, nouveaux articles des journaux républicains pour donner les détails de la conjuration : ils racontent que les guérillas se sont grisés à l’auberge, et que, le whiskey leur déliant la langue, la république a