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Rien de plus ennuyeux que le pays où nous sommes : la Sologne, la Beauce, ne sont pas plus uniformes. Depuis Chicago jusqu’à Cincinnati, plaine sans limites, sans accidens, sans variété, où l’on ne s’aperçoit pas du chemin parcouru ; d’immenses et éternelles forêts, des cultures tristes et de pauvre apparence en bande étroite au bord de la voie, des villages tous semblables, avec leurs baraques de planches et leurs champs de maïs desséchés, puis de nouveau la forêt. Ce pays a été bien surfait par l’imagination ou le charlatanisme de ses visiteurs.

Richmond, où je me promène pour tuer le temps, est une jolie petite ville, sur les confins de l’Ohio et de l’Indiana, et à laquelle je donne, à vue d’œil, de six à sept mille âmes. On n’a pas tout vu en Amérique quand on s’est rassasié tour à tour de la majesté des forêts et de la saleté des grandes villes. Il faut voir aussi ces petites cités récentes, encore à moitié villages, qui présentent la transition de la vie agricole à la vie industrielle. À deux pas des rues principales, au milieu même des maisons, s’étendent les champs labourés et les prairies ; derrière, à quelques cents mètres, se dresse encore la ceinture sauvage de la forêt. Cependant les chalets, les cottages en bois ou en brique, tous propres et bien clos, quelques-uns même élégamment ornés, les églises flambant neuves, la maison d’école d’où sort le chœur des voix enfantines récitant leur leçon comme un psaume, les longues avenues bordées de lanternes éclairées au gaz, et même, dans la rue centrale, quelques grands édifices, à la façon des capitales, s’élèvent comme par enchantement au milieu d’un bouquet de petits jardins verts et fleuris. Tout respire ici l’aisance et le bien-être. L’Ohio est relativement un pays de colonisation ancienne, où la richesse a eu le temps de se répandre et de se fonder.

Il n’en est pas de même de tous les états de l’ouest, de ceux même qui donnent les plus merveilleuses espérances : en général, ils présentent, à côté des grandes fortunes récemment acquises et risquées incessamment dans l’industrie et le commerce, des populations qui luttent encore contre la misère qu’elles y ont apportée. Il y a dans le Wisconsin des colonies entières d’Allemands et de Suédois qui meurent presque de faim, et que tue la concurrence des cultures de l’Illinois. Dans la prairie même, où la terre végétale a quatorze pieds d’épaisseur, et où il suffit d’une allumette chimique, d’une charrue et de deux chevaux pour la défricher, les populations agricoles récemment émigrées d’Europe ne subsistent que par une lutte âpre et quotidienne avec la pauvreté. Cela tient, me dit-on, à diverses causes : d’abord au prix trop élevé auquel la compagnie de l’Illinois central met les terres dont elle a obtenu la concession pour les revendre en détail aux émigrans, ensuite