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obtenait 168 suffrages contre 49 au deuxième degré, bien que le vote il populaire pris en masse donnât 139,000 voix de plus aux démocrates. Cette fois les électeurs nommés lui assurent, dit-on, 213 suffrages contre 21, et sur l’ensemble du voté populaire il dépasse de 400,000 voix son concurrent.

La presse de Richmond affecte de se réjouir. « Les républicains, dit-elle, ne peuvent se flatter de nous ramener à l’Union, et comme ils ne peuvent pas nous y contraindre, ils seront bientôt forcés de sanctionner notre indépendance. » Cet optimisme systématique est-il bien sincère ? J’en doute fort ou plutôt je n’en doute pas du tout. Les confédérés font contre mauvaise fortune bon cœur, et s’efforcent de montrer vaillante figure à l’ennemi. Ils savent très bien que les républicains ne les reconnaîtront jamais, et que le seul moyen de les frustrer de leur victoire est de se faire exterminer jusqu’au dernier homme. Ils tiennent entre leurs mains les destinées de l’Union ; mais les gens du nord, en revanche, tiennent leur vie. Seront-ils assez fous pour refuser de vivre ?

Dans tous les cas, la dernière heure de l’esclavage a sonné. Il est vrai que l’affranchissement de la race noire est accompagné d’une immense hécatombe d’esclaves émancipés. Les deux partis font tomber leurs chaînes pour s’en faire des machines de guerre et des gladiateurs dociles dans la boucherie des batailles. Ce n’est pas là précisément l’émancipation des philanthropes, c’est du moins celle des Américains. Du moment qu’ils ont cessé de posséder le bétail humain, ils n’en souffrent qu’avec ennui la concurrence. Dans l’Illinois, qui vient de donner 20,000 voix de majorité à la politique du manifeste abolitioniste to whom it may concern[1], il y a une loi qui interdit aux noirs de pénétrer dans l’état. Ceux qui y sont établis de longue date n’ont pas encore obtenu le droit de possédé, et les plus hardis novateurs, ceux qu’on accuse de sacrifier les blancs aux nègres, d’affamer les familles des soldats citoyens au profit des mercenaires échappés de la servitude, ne demandent encore pour leurs protégés ni droits politiques, ni égalité civile ; ils ne réclament que la liberté de produire et de vendre, inhérente à tout être humain. D’après l’ancien code noir de l’Illinois, aboli en 1853 seulement, tout nègre qui se hasardait sur le territoire était considéré comme esclave et fugitif d’un état voisin. Il était vendu par autorité de justice et adjugé pour un an au plus haut et dernier enchérisseur, en attendant que son maître eût le temps de le réclamer. Tout blanc rencontrant un nègre dans ses domaines avait le droit de chasser le vagabond à coups d’étrivières ou de s’approprier son travail. La législation

  1. Voyez la Revue du 1er septembre.