Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 60.djvu/654

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

actuelle est plus clémente : avant de sévir contre le noir, elle lui accorde généreusement un sursis de dix jours ; mais, s’il réside plus longtemps, il est mis en prison, frappé d’une amende, vendu pour la payer à un maître temporaire, et, quand il recouvre sa liberté, vendu et revendu sans cesse, tant qu’il reste dans le pays[1]. L’Illinois est pourtant un free state ! Il y a dans le même état une loi qui interdit rigoureusement tout mariage entre les blancs et les gens de couleur. Les coupables sont punis d’amende, de trente-six coups de fouet et d’un an de prison au minimum ; le ministre, le juge ou le clerk qui a célébré le mariage est passible lui-même, d’une lourde peine pécuniaire ; le prétendu mariage est nul et non avenu. Voilà la sollicitude des philanthropes de l’ouest pour leurs bons frères à peau noire !

L’antipathie des gens du nord pour l’esclavage n’a rien au fond de très désintéressé. La bannière n’en est pas moins déployée, il faut la suivre, et le principe va triompher en dépit des hommes. Vous vous rappelez que la constitution des États-Unis ne peut être modifiée que par une majorité des deux tiers dans chacune des chambres du congrès. Un amendement constitutionnel abolissant l’esclavage a déjà été voté dans le sénat ; mais il a échoué à la chambre des représentans avec une majorité insuffisante. Aujourd’hui la grande majorité des républicains dans l’élection présidentielle met hors de doute le vote unanime de l’amendement par le nouveau congrès. L’abolition, décrétée d’abord comme une mesure de guerre, recevra donc bientôt la sanction légale. Que le sud y consente ou y résiste, l’esclavage a fait son temps.

On parle de démarches pacifiques, on nomme déjà les négociateurs. Jamais en effet le nord n’a pu parler au sud avec plus de force et d’autorité. S’il n’était fou, le sud y prêterait l’oreille, et puisqu’il se résigne, pour continuer la guerre, à frapper de ses propres mains l’esclavage, il consentirait à l’abandonner pour obtenir la paix. C’est, dit-on, la seule condition qu’on lui impose, et, le sacrifice étant à demi consommé, que lui en coûterait-il pour rentrer dans l’Union ? Rien qu’un abaissement de son orgueil, mais c’est là justement ce qui lui coûte le plus. Cette guerre de quatre années a fait d’une discorde civile une sorte d’antipathie nationale. La rivalité d’ailleurs est ancienne entre le sud et le nord ; il y a longtemps qu’ils se considèrent en frères ennemis. Quand les républicains abolitionistes parlent du temps des majorités démocratiques, ils disent : « Le temps où le sud nous opprimait, » sans songer

  1. Cette odieuse législation, tombée d’ailleurs en désuétude et battue en brèche par le parti abolitioniste, a depuis lors été réformée ; mais on n’a rien changé à la partie relative au mariage : l’union des deux races reste sévèrement prohibée.