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de l’industrie américaine. Les verreries de Pittsburg ne fabriquent que des pauvretés. J’ai vu en revanche deux ou trois beaux établissemens, une fabrique d’acier où l’on emploie d’anciennes méthodes, mais qui me semble montée avec luxe, une fabrique de clous qui emploie d’immenses machines, une fabrique de fers à cheval taillés à la vapeur, à l’emporte-pièce, dont la grande roue motrice a peut-être 10 mètres de diamètre. Enfin j’ai visité la fonderie de canons, d’où sortent les plus gros monstres destructeurs du monde. J’en ai vu un, le plus terrible de tous, dont le frère jumeau a déjà servi sur terre au siège d’Atlanta, et qu’on destine à être placé tout seul sur un des gros vaisseaux de guerre de la marine fédérale. Mis en travers du pont d’un, navire, il l’occuperait tout entier. Cette prodigieuse machine lance des boulets de quarante pouces, et l’on a calculé que chaque coup, tout compte fait, coûtera environ 3,000 dollars. Quelles extravagances les hommes inventent pour s’entre-tuer !

J’ai quitté Pittsburg par le chemin de Cleveland, longeant encore pour quelques lieues la ravissante vallée de l’Ohio. Je ne connais rien de plus riant, de plus vivant et de plus riche. À chaque pas, des villages, des îles, des bateaux à vapeur écumans, et la voie en corniche le long de la sinueuse rivière. Il était nuit quand je descendis à Ravenna, petit village de l’Ohio, situé à la jonction de l’Atlantic and Great Western, qui doit me conduire au pays de l’huile. Pas de train ce soir ; il fallait donc y passer la nuit. Je ne retrouve point mon bagage à la station ; il sera sans doute à la jonction des deux lignes. « Allez-y, me dit-on, c’est à un quart de mille. » Me voilà en campagne à travers la neige et la boue. Je fais un, deux milles, le village était déjà loin derrière moi, et point de jonction. Je reviens trempé de boue au village : plus d’auberge ouverte ; il faut frapper aux portes, crier pour me faire ouvrir. Quant au souper, je n’y dois pas songer : messieurs les aubergistes ont leurs lois, et celui-ci m’informe qu’après neuf heures on ne mange plus dans sa maison.


Titusville (Pensylvanie), 17 novembre.

Me voilà dans le pays de l’huile. Ce n’est pas précisément le pays qu’on choisirait pour un voyage de noces. Je me félicite pourtant de voir ce nouvel et curieux aspect de la société américaine. Les pluies, les neiges, la boue et toutes les laideurs de la saison donnent encore plus d’étrangeté à cette espèce de Californie. Figurez-vous une mer de fange où errent quelques trottoirs brisés et raboteux de planches branlantes, des maisons de bois étroites où s’entasse une population débordante pour laquelle on n’a pas le