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Il y a des huiles plus épaisses qui n’ont besoin d’aucune préparation pour être brûlées ; il y en a de plus légères qu’on distille et qu’on concentre. Tous ces établissemens, moulins et raffineries, s’encombrent dans un étroit bas-fond ; quelques-uns même empiètent sur le lit de la rivière. À chaque instant, de lourds bateau, passent, affaissés sous des piles de tonneaux et entraînés par le courant rapide. Les forêts de pins et la sauvagerie sont à côté. Sauf la route naturelle qu’offre la rivière, et en attendant le chemin de fer, dont les deux bouts commencés doivent bientôt se rejoindre ici même, rien n’est disposé pour ce grand commerce. Cette manière d’improviser l’industrie et de courir au gain à travers tous les obstacles appartient bien au caractère américain. Dans l’ardeur de la concurrence, les conditions même d’une bonne exploitation sont négligées. Là se fait sentir le besoin d’un pouvoir prévoyant et régulateur qui exécute de lui-même les œuvres d’utilité publique que n’entreprendra point la cupidité jalouse et hâtive de l’individu. Témoins de l’excessive intervention de notre administration dans nos affairés, prenons garde de juger ab irato et de tomber dans l’excès contraire en affirmant qu’il suffit de laisser faire pour que tout se fasse. Rien de meilleur que les entreprises particulières et spontanées, lorsqu’elles s’exécutent. Il faut pourtant qu’il y ait un pouvoir chargé d’y pourvoir d’office, quand l’initiative individuelle est en défaut. Ce qui me semble mauvais dans notre centralisation française, ce n’est pas tant le devoir que l’état s’impose de faire et le droit qu’il s’arroge d’en exiger les moyens que le monopole qu’il se réserve et la défense faite à tout autre de marcher sur ses brisées. Ne vous mêlez pas des affaires d’autrui, n’imposez pas aux localités vos plans, vos ingénieurs et vos convenances ; mais, lorsqu’elles ne feront pas ce qui est nécessaire au bien public, ayez le droit de vous en occuper vous-même.

À mon retour, la nuit, cette nuit brusque, sans crépuscule, qui est particulière au ciel d’Amérique, m’a surpris à mi-chemin. L’obscurité devint bientôt si profonde qu’il fallait deviner plutôt que se conduire. C’est une chose assez mélancolique qu’une telle promenade dans un pays inconnu, à la nuit noire, quand on risque de s’égarer, et que tous les chiens du voisinage à une lieue à la ronde saluent votre approche d’aboiemens furieux. Çà et là, une lumière brillait à l’horizon, elle s’éteignait vite. Mon cheval, fatigué chancelait dans les fondrières, trébuchait sur les pierres roulantes ; il semblait inquiet et étonné. Une fois, au détour d’un chemin, nous ne fûmes pas d’accord : je poussai à gauche, il tourna à droite. Je l’arrêtai au tournant même et le livrai à sa sagacité : il flaira, flaira encore, et ne se décida point. Grande anxiété : j’écarquillais