Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 60.djvu/669

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’amour du gain ne serait-il pas l’âme de leur société ? C’est la raison même de leur existence. L’Amérique n’est plus, comme autrefois, le refuge des persécutés et des proscrits, la terre promise de ceux qui cherchent la liberté aux quatre coins de l’horizon. Il y a longtemps que la Nouvelle-Angleterre ne reçoit plus ces fortunes acquises, ces élémens d’une société toute faite qui n’ont eu qu’à s’implanter au sol nouveau. Le temps des pèlerins et des quakers est passé : ils n’ont laissé leur trace qu’à la forme générale de la société américaine et aux institutions politiques qu’ils lui ont léguées : les matériaux de l’Amérique sont à présent les rebuts de l’Europe. Ce qui lui imprime son mouvement infatigable, son prodigieux développement, c’est justement l’amour du gain, poussé souvent par le besoin. La société américaine est en un mot une société de nécessiteux enrichis, en voie de s’enrichir, ou venus pour s’enrichir. Ils se jettent sur leur proie comme des affamés : ils n’en seront pas rassasiés de si tôt.

Lors même qu’ils auront assouvi leur voracité première, il faudra mainte génération pour que la soif de l’or soit étanchée ; il faudra même quelques déboires, et l’expérience que le métier profite moins que par le passé. Voit-on souvent chez nous les rois de la finance se retirer dans leurs vieux jours et renoncer à l’appât des gains immodérés ? Et pourtant nous sommes un peuple à préjugés aristocratiques, dédaigneux de la richesse ainsi gagnée, ami de la stabilité et de la durée, qui encensons souvent les fortunes récentes, mais qui sommes impitoyables pour celles qui tombent, montrant alors le mépris caché sous nos adulations. Rien de pareil en Amérique, rien qui puisse décourager le spéculateur et lui faire même entrevoir un autre genre de vie. Les lois, qui chez nous favorisent le loisir, se joignent ici aux mœurs pour stimuler l’esprit d’aventure. Le père n’est point tenu de léguer son héritage à ses enfans ; souvent il le distribue de droite et de gauche, soit par ostentation, soit par bienfaisance, et les pousse dans le monde, livrés de bonne heure à eux-mêmes, obligés de se bâtir un foyer. Les fortunes se font et se défont à chaque génération, sinon plusieurs fois dans la vie de chacun : il faut revenir au tourbillon des affaires alors même qu’on aurait le désir de mener sa barque au port. Point de ces fortunes toutes faites ni de ces brillantes sinécures que les aristocraties réservent à leurs déshérités, point de ces occupations libérales dont le goût public peut faire une carrière et un gagne-pain ; mais en face et à la portée de tous le rêve californien, le monceau d’or illimité de la spéculation. Faut-il s’étonner si tout le monde s’y précipite, et si, dans cette démocratie, la politique même est méprisée des spéculateurs ? Ils la considèrent comme un