Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 60.djvu/673

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

souriante et gracieuse, vînt lui faire quelques remontrances ; Personne n’osa le jeter dehors.

C’est que l’uniforme commence à être redouté en Amérique. Ici, dans l’état de New-York, les soldats se contentent de faire du bruit ; mais ailleurs, dans le Tennessee, dans la Louisiane, en général dans tous les états où ils règnent du droit de la guerre, ils tuent, et ce sont des offenses vénielles. Le vice-président et gouverneur militaire du Tennessee, André Johnson, harangua dernièrement à Nashville un meeting de gens de couleur. « Deux personnes, raconte paisiblement le journal, y perdirent la vie. » L’un d’eux, un soldat, venait de crier assez sottement : Hurrah for Mac-Clellan ! Il fut aussitôt entouré et shot, comme le dit la langue anglaise avec son énergique concision. L’autre jeta des pierres aux orateurs, et la garde l’abattit à coups de fusil comme il essayait de s’enfuir. On ajoute qu’un mulâtre fut tué en manière de vengeance par les camarades du soldat qui avait crié hurrah for Mac-Clellan ! Cependant les orateurs continuaient leurs harangues. De tels actes, encouragés par l’impunité, ont une signification terrible. Ne se plaignait-on pas l’autre jour que le président eût fait grâce à un officier confédéré qui devait périr en rétaliation des crimes commis par les rebelles ? La justice, disait-on, veut que ce prisonnier périsse. Étrange idée de la justice chez une nation chrétienne !

On parle aussi de l’arrestation arbitraire du lieutenant-gouverneur du Kentucky, Jacobs, et de son bannissement au pays des rebelles. Je le crois depuis longtemps engagé dans une complicité coupable avec l’ennemi. Les démocrates se plaignent de ce châtiment sommaire qu’aucun jugement n’a prononcé, et que ne suffit pas à justifier la suspension extraordinaire du droit l’habeas corpus ; ils y voient un attentat criminel à la constitution et aux libertés publiques. Ces mesures pourtant sont inévitables dans un pays où les lois laissent le gouvernement désarmé.

C’est là justement le défaut, quelques-uns disent l’avantage de la démocratie américaine. L’autorité du gouvernement y est pour ainsi dire élastique, et pourvu que l’opinion générale la soutienne, l’arbitraire peut s’y établir à la faveur même de la liberté. La loi n’a rien prévu. La licence et l’arbitraire se donnent la main contre elle et s’entr’aident à empiéter sur un domaine qu’elle ne sait pas défendre. L’imprévoyance, il faut le dire, est le vice naturel d’une législation de hasard, improvisée pour subvenir aux premiers besoins d’une société nouvelle, comme ces maisons de bois grossières qui servent d’abri provisoire aux pionniers. Il est aussi dans la nature du règne populaire d’imprimer à la législation une allure violente, capricieuse, une instabilité qui la discrédite. Enfin la diversité,