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du présent, quoique Amalfi revive un peu, dit-on, par ses fabriques et ses expéditions de macaronis ! Mais ce qui couvre et efface tout, grandeurs du passé, ruines et délabrement du présent, c’est l’ineffable splendeur et l’inexprimable douceur de la nature. Comme tous les aspects semblent faits ici pour le plaisir des yeux et l’enchantement de l’esprit ! Comme la beauté arrive à vous de toutes parts, de la mer et des flots qui viennent caresser le rivage, des îles placées ça et là pour ôter et pour rendre tour à tour à ce grand horizon l’idée de l’infini, selon que l’œil s’attache à ces îles ou s’en détourne, — de la terre arrondie en collines charmantes, coupée en vallées étroites et obscures, parée du gris changeant de l’olivier et de la sombre et éclatante verdure de l’oranger ! Ces lignes graves et douces des montagnes appartiennent à l’architecture grecque ; c’est Phidias qui les a dessinées. Quelques-unes de ces femmes qui passent ressemblent à ses statues. Ce chevrier que je vois assis sur le rocher pendant que ses chèvres grimpent et se suspendent aux pierres, cherchant çà et là quelques brins d’herbes, et qui regarde la mer pour en jouir, je l’ai lu dans Théocrite, où il regarde aussi la mer depuis plus de deux mille ans pour en jouir et pour en enseigner la jouissance à ceux dont la poésie ouvre les yeux sur la nature. Est-ce qu’en ces beaux lieux les hommes ont jamais pu faire autre chose que regarder et aimer ? Est-ce qu’ici ils ont jamais pu travailler, souffrir, combattre pour une idée, pour un sentiment, pour un devoir, pour un intérêt ? Est-ce qu’il y a ici une histoire ? Est-ce qu’il y a autre chose que le charme de l’heure présente ? A ces molles insinuations d’une nature enchanteresse, j’aime que l’histoire réponde, avec sa voix sévère, en me parlant des labeurs, des dévouemens, des misères, des victoires, des grandeurs des anciens habitans de ces petites villes, des anciens citoyens de ces petites républiques. Les républiques de la Grèce ancienne et de l’Italie du moyen-âge n’existent, je crois, dans l’histoire, que pour enseigner aux hommes de notre siècle, trop épris du pêle-mêle humain et du mécanisme administratif des vastes empires, que les petites sociétés peuvent faire de grandes choses, et que, pour laisser une longue mémoire, l’énergie du patriotisme vaut mieux que l’étendue du territoire.

L’Italie moderne a produit un ouvrage très savant, l’Histoire des Musulmans de Sicile[1], par M. Amari, où tous les souvenirs de cette première lutte entre l’Italie et l’Orient sont rassemblés avec beaucoup de soin et d’étude, et je me sers d’autant plus volontiers de cet ouvrage que l’auteur l’a entrepris et écrit à Paris. Exilé du royaume de Naples, M. Amari vint à Paris et se mit courageusement

  1. Storia dei Musulmani di Sicilia, scritta da Michele Amari, 3 vol. in-8o, 1854.