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stances, c’est-à-dire pour servir de réponse aux opinions dissidentes à mesure qu’elles se produisaient. D’où venaient à leur tour ces altérations dès textes ? Évidemment de l’esprit individuel des maîtres, lequel marchait lui-même avec le temps. Aussi, lorsque les textes canoniques eurent tous été publiés et avec eux la doctrine secrète, l’esprit des docteurs et des pères continua-t-il à s’immiscer dans le dogme fondamental, sinon pour le changer, au moins pour l’interpréter plus librement, car en réalité le dogme est exprimé dans les livres saints d’une manière souvent bien succincte et qui appelle les commentaires. Dans l’église catholique, le dogme ne fut définitivement fixé dans tous ses détails que par le concile de Trente ; encore pouvons-nous dire que depuis cette époque il a reçu de nouveaux développemens. Quant aux rites, qui font également partie de la religion et dont le sens a été, lui aussi, tenu secret, ils m’ont jamais cessé d’éprouver des changemens et de recevoir des additions, ils en reçoivent encore de nos jours et sous nos yeux.

Il est donc vrai que la doctrine du Christ s’est transmise secrètement dans la primitive église ; mais il ne faudrait pas dire d’une manière absolue qu’il en a été ainsi de toute la doctrine, et que durant sa transmission elle est demeurée intacte sans recevoir ni altérations ni développemens. Il y a lieu de prendre un moyen terme entre la pensée de M. de Bunsen, qui n’admet rien de nouveau dans le christianisme pendant les deux premiers siècles et n’y voit que la transmission intégrale de dogmes complets, et la pensée de l’école critique, suivant laquelle tout y est nouveau, les doctrines et les livrés.

M. de Bunsen met hors de doute, soit par des citations, soit par l’examen des doctrines, que Jésus eut deux enseignemens, l’un public procédant par paraboles et ne livrant du dogme que ce qu’il avait de pratique, l’autre secret ou ésotérique donné seulement aux disciples et non.pas même à tous. dans sa totalité, mais seulement à Pierre, à Jacques et à Jean. Cette science cachée, Jésus ne prétendait pas en être l’auteur ; mais, opposant la religion du cœur à la religion tout extérieure des pharisiens, il leur reprochait de tenir en réserve la science dont ils avaient le dépôt et de fermer aux hommes le royaume du ciel. Ce royaume ne pouvait être ouvert à tous que par le Messie fils de Dieu ; la filiation divine du Messie faisait partie de la doctrine secrète, tandis que le commun des Juifs n’attendait qu’un messie terrestre, un roi-prophète, descendant de David. Or publiquement Jésus ne se donnait que comme fils de l’homme, expression qui ne pouvait s’entendre ni de l’un ni de l’autre des deux messies. Quand Pierre eut confessé le Christ en Jésus et que les autres disciples l’eurent aussi reconnu en lui, Jésus leur interdit d’en parler à personne. A mesure qu’il avance