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Hébreux ; M. de Bunsen attribue avec vraisemblance cette dernière à un Juif converti, l’Alexandrin Appllos, dont l’autorité fut mise en balance avec celle de Paul lui-même. Luc était le disciple et le compagnon de voyage de Paul. L’intention manifeste de son Évangile est de frapper d’abord de discrédit les écrits antérieurs relatifs à Jésus, puis d’harmoniser entre eux les récits les plus authentiques, d’en faire sentir l’insuffisance et de les compléter avec la doctrine secrète révélée par Paul. La lecture comparative des Évangiles de Luc et de Matthieu met le contraste dans toute son évidence. Tout ce qui dans ce dernier paraît favorable aux Juifs ou à la loi mosaïque est supprimé dans saint Luc : Matthieu conserve la pâque, Luc la supprime et la remplace par une autre où un agneau n’est plus immolé et où la victime n’est autre que le Christ lui-même. Le royaume du Messie est juif et matériel dans Matthieu, il est spirituel et universel dans saint Luc ; le Dieu de Matthieu, c’est le Père assis dans le ciel, sur un trône, comme le chef du peuple choisi ; le Dieu de Luc est universel, il habite en chacun de nous, et nous-mêmes habitans en lui. Luc décrit l’aveuglement et l’hypocrisie des chefs israélites, il n’a point de paroles amères contre Pontius-Pilatus ; par lui, Hérode et ses soldats sont substitués aux soldats romains ; ce sont eux qui livrent Jésus au supplice. Matthieu avait commencé la généalogie de Jésus à Abraham et par là en avait fait un Juif fils de David par Joseph ; Luc la commence à Adam, fils de Dieu et père des hommes ; Joseph n’est à ses yeux qu’un père supposé ; le vrai père de Jésus, c’est Dieu, qui l’a choisi pour être crucifié par les Juifs. On trouvait dans Matthieu les mages, l’étoile, la fuite en Égypte, le massacre des enfans ; dans saint Luc, il n’y a plus ni mages ni massacre ; Joseph le Juif disparaît de la scène, et à sa place on voit paraître sur le premier plan Marie, Galiléenne, de race peut-être étrangère à Israël, modèle de sainteté et de bénédiction, dont la vertu purifiante est ressentie par tous ceux qui l’approchent. Le récit de la naissance de Jésus au lever du jour, de l’approche des bergers, des anges chantant en chœur : « Gloire à Dieu au haut du ciel, » tout cela forme dans saint Luc un tableau d’une harmonie orientale et presque védique contrastant merveilleusement avec l’esprit étroit des sadducéens et des pharisiens eux-mêmes. C’est en Galilée, parmi les gentils, que Jésus reçoit le baptême, et que le Christ se révèle à Jean le Baptiseur ; celui-ci, selon saint Luc, baptisait par l’eau en attendant qu’un autre baptisât par l’esprit et par le feu, nouveau rit qui n’a rien de commun avec le baptême hébraïque de saint Matthieu. Luc cherche à diminuer l’autorité des apôtres en omettant toutes les paroles de Jésus qui dans Matthieu la confir-