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les autres ? Immédiatement la panique s’emparera des esprits, tout le monde courra au remboursement, et ce qui était bon la veille deviendra mauvais le lendemain. Ce n’est pas ici de la théorie, c’est un fait. — En Amérique, dans ce pays si habitué au crédit et où l’on ne s’émeut pas facilement, il a suffi, en 1857, de la faillite d’une banque d’émission pour amener celle de beaucoup d’autres. On dit en faveur des banques régionales qu’elles n’auraient pas à répondre aux mêmes exigences que la banque unique, à subir les mêmes pressions, que l’on voit souvent le prix de l’argent se maintenir dans les départemens à un taux normal, lorsqu’il est très cher à Paris ; qu’il est dur, par exemple, que toute la France soit obligée de payer l’argent 7 et 8 pour 100, parce que la banque unique se trouve en face de besoins extraordinaires qui n’existent guère qu’à Paris. Cela veut dire que les banques régionales n’auraient pas à se préoccuper du change pour régler leurs émissions, qu’elles continueraient à donner l’argent au même prix, quelles que fussent les circonstances, même lorsqu’il serait plus cher à Paris, afin que le négociant de Bordeaux ne fût pas sous le coup des nécessités qui frappent particulièrement la capitale. Qu’arriverait-il cependant ? Il arriverait que quand l’argent serait cher à Paris, et qu’on pourrait se le procurer à Bordeaux à meilleur marché, tout le monde ramasserait du papier sur la banque de Bordeaux et courrait au remboursement. — On n’aurait aucun moyen de l’empêcher.

Supposons, par exemple, dans les circonstances de l’année dernière, où tout l’argent qui s’écoulait pour les acquisitions de coton s’en allait par Marseille, supposons qu’il y ait eu dans cette ville une banque d’émission tout à fait indépendante et sans lien aucun avec les autres banques, surtout avec la banque centrale. Croit-on qu’elle aurait pu faire face à toutes les demandes de numéraire qui se sont présentées ? — Évidemment non ; elle eût été bien vite épuisée et obligée de suspendre ses opérations ; il aurait fallu recourir aux autres banques, et cela dans les plus mauvaises conditions, sans qu’elles fussent préparées à recevoir le contre-coup et en état de répondre à des besoins aussi exceptionnels. Avec une seule banque d’émission et des succursales partout, le même péril n’est pas à craindre ; cette banque se gouverne non selon les intérêts particuliers de telle ou telle localité, mais selon les intérêts généraux du pays. Si elle voit que l’argent va devenir rare et qu’une de ses succursales en aura particulièrement besoin, elle règle son émission en conséquence, et à l’aide des ressources qu’elle puise un peu partout, elle est en mesure d’approvisionner d’argent la succursale qui en manque, beaucoup mieux que s’il y avait dans la localité une banque indépendante qui dût s’adresser aux autres par traite ou