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arriverez au dernier étage de la tour par un escalier en forme de vis sur lequel s’ouvre une lourde porte revêtue de têtes de clous et rapiécée de morceaux de chêne. Cette porte tourne en grondant sur ses gonds rouillés, et l’on se trouve dans un étroit cachot mesurant 4 mètres de long sur 3 mètres 50 cent, de large. La chambre est aujourd’hui éclairée par deux petites fenêtres ; mais autrefois, si j’en crois mon cicérone, elle n’était percée que d’une étroite lucarne en forme de meurtrière, et nageait par conséquent dans l’obscurité. Les murs et les dalles sont revêtus de grosses planches mal rabotées, dans lesquelles se montrent, fixés et rivés de distance en distance, des anneaux de fer auxquels on voyait encore pendre, il y a une quarantaine d’années, des débris de chaînes. A chacun de ces anneaux (j’en ai compté sept) était attaché un prisonnier que tout conviait du dehors aux charmes de la vie et de la nature. Il y avait en effet jusque dans la position élevée de ce cachot un raffinement de cruauté : les captifs entendaient le long de la Tamise le bruit de l’eau soulevée par la rame, le chant des oiseaux, le frôlement des feuilles, car les têtes des grands arbres venaient s’entre-choquer contre les flancs de la tour. Un manteau de cheminée paraît s’ouvrir à droite de la cellule, mais cette cheminée elle-même est un mensonge : il n’y a point de conduit pour la fumée, qui se rabattait dans la chambre et suffoquait les victimes. C’était sans doute la manière d’en finir avec les hérétiques intraitables. Dans le plancher se voit encore une trappe qu’on soulève au moyen d’un anneau de fer, et qui communiquait par un trou ténébreux avec la rivière : c’est là qu’on jetait les cadavres. Le revêtement de bois qui masque les murs du cachot est couvert de caractères presque illisibles gravés avec un clou ou avec la pointe d’un couteau. On dirait des hiéroglyphes écrits par la main des morts sur les parois de leur sépulcre. Et pourtant cette chambre avec toutes ses horreurs n’avait point imposé silence à la pensée humaine. Les prisons ne suffisaient plus, et à l’entrée du palais de Lambeth il fallut établir, près de la loge où habite maintenant le portier, un cachot d’attente pour recevoir les lollards quand la place manquait à la tour. La tradition affirme qu’un certain Grafton, dont le nom est inscrit par lui-même sur le mur, a péri dans cette salle. De tels lieux n’inspirent-ils point des réflexions tristes, mais salutaires ? Avec le temps, le cachot a vaincu le palais de Lambeth. De la nuit des oubliettes est sortie la liberté de penser, qu’on voulait proscrire. Les ombres de ceux qu’on jetait au courant du fleuve règnent aujourd’hui dans ces galeries solitaires sous l’autorité d’un archevêque protestant.

Sans parler de la reine, chef laïque du pouvoir spirituel, l’église