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elle les sympathies des esprits éclairés et qu’elle ménagera la liberté des opinions, elle pourra défier les tempêtes.

Le clergé s’est fort préoccupé depuis quelques années d’attirer dans les temples la classe ouvrière. Ses efforts ont-ils été couronnés de succès dans les grandes villes ? Non assurément, car il en est encore à rechercher les causes d’une absence qu’il regrette. Le docteur Pusey attribue l’exclusion des ouvriers à l’ancien système qui régit encore l’arrangement intérieur des églises protestantes. Les bancs y sont ou loués à l’année pour de l’argent, ou occupés à titre de droit d’ancienneté par les paroissiens de la classe supérieure, tout au moins de la classe moyenne. Dans les deux cas, le pauvre y fait une assez triste figure. « Est-ce là, s’écrie le docteur Pusey, ce qu’on a le droit d’attendre d’une religion qui proclame l’égalité de tous en présence d’un père commun ? » L’éloquent professeur va plus loin encore : il cite des faits. Il y a quelques années, une église n’avait absolument que des bancs, et ces bancs étaient vides ; on les abolit, et sous le même clergyman la même église fut constamment remplie d’un bout à l’autre. Cette expérience paraît décisive, et pourtant est-il bien certain que la location des sièges soit la seule cause qui écarte des temples en Angleterre la classe la plus nombreuse ? Il y a lieu d’en douter. Le dimanche, les personnes aisées étalent à l’envi dans la maison de prière leurs plus belles toilettes ; de quel air le pauvre viendrait-il y montrer ses haillons ? Cette objection est si sérieuse qu’on avait eu l’idée en 1850 d’établir à Londres des églises déguenillées (ragged churches) de même qu’il existait déjà des ragged schools ; mais le nom à lui seul était trop injurieux pour que cette tentative obtînt du succès. La vérité toutefois est que, dans ces mêmes édifices où la voix de l’Évangile s’élève si haut contre le culte de Mammon, l’humble travailleur des villes sent peser sur lui tout un ordre social qui lui semble être en contradiction avec la parole du maître. En vain a-t-on adouci le sens de certains textes ; en vain, grâce à un miracle de subtilité scolastique, a-t-on fait passer le chameau par le trou de l’aiguille : comment accorder l’extrême distinction des rangs avec l’esprit d’un livre qui prêche en tout le renoncement et l’humilité ? La réformation avait voulu rapprocher le prêtre de la multitude afin de mieux rapprocher l’homme de Dieu ; mais la naissance, l’éducation, la fortune, creusent encore des abîmes entre le ministre protestant et la partie la plus souffrante de son auditoire. Quant à l’évêque, il est trop grand et trop loin du peuple pour exercer sur lui une très vive influence. Derrière cette hiérarchie ecclésiastique se dresse d’ailleurs toute une hiérarchie civile, double échelle de Jacob bien haute et bien redoutable pour celui