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le Tabernacle de M. Spurgeon[1]. À l’extérieur, on dirait un théâtre, et, pour compléter la ressemblance, une foule serrée fait queue tous les dimanches soirs, d’abord devant la grille qui protège le monument, puis sous le péristyle. Enfin à six heures et demie les portes s’ouvrent : tout le monde se précipite et trouve les trois quarts de la salle envahie déjà par les propriétaires ou les locataires de bancs. Ce système d’exclusion et de privilège, combattu par quelques membres de l’église haute, règne avec une extrême rigueur dans les chapelles : les ministres dissidens n’ont d’ailleurs aucune raison de l’abolir, ils en vivent. Au point de vue matériel, qui ne se sépare guère ici du point de vue religieux, l’érection de tels édifices constitue dans certains cas une excellente spéculation financière. L’intérieur ressemble exactement à une salle de concerts : il se compose d’un parterre et de deux rangs de galeries superposées autour desquelles courent des cordons de lumières, tandis que des becs de gaz s’épanouissent au chapiteau des colonnes qui soutiennent le toit et les surmontent d’une couronne de feu ; — du reste, aucun signe religieux, à moins qu’on ne veuille prendre pour tel le cadran d’une horloge destiné sans doute à rappeler aux chrétiens la fuite rapide du temps. À sept heures du soir, M. Spurgeon paraît sur un balcon ou plate-forme entourée d’une balustrade. Il est vêtu d’un habit noir et porte une cravate blanche. Le plus profond silence règne parmi les trois ou quatre mille fidèles qui remplissent cette salle, encore trop étroite pour la réputation de l’orateur. Une courte lecture, quelques chants, une prière, tels sont les préliminaires du sermon. M. Spurgeon a beaucoup d’un acteur dans la figure, dans la voix et dans les gestes :

  1. Né à Kelvedon (Essex) en 1834, M. Spurgeon fit ses premières études dans la ville de Colchester. Quelques membres de sa famille étaient indépendans ; ils l’engagèrent à entrer dans un des collèges de la secte pour y apprendre la théologie et se préparer ainsi au ministère ; mais ses convictions inclinaient du côté des baptistes. Il se rattacha donc à une église de ces dissidens présidée à Cambridge par Robert Hall. À dix-sept ans, dans un village voisin de Cambridge, Teversham, il prononça son premier sermon et fut bientôt connu sous le nom de « l’enfant prédicateur (boy preacher). » On le demanda peu de temps après pour exercer les fonctions de pasteur dans la petite chapelle de Waterbeach ; il s’y rendit, et cette chapelle, — une grange, — fut bientôt remplie d’auditeurs, tandis que la foule, repoussée au dehors, se contentait d’entendre le son de sa voix. Sa réputation vola jusqu’à Londres, et la chapelle de New-Park street, dans Southwark, dont la chaire avait été autrefois occupée par le docteur Rippon, réclama les services du jeune prodige. En 1853, M. Spurgeon parut pour la première fois devant le public de Londres : le succès fut immense. Deux années ne s’étaient point écoulées qu’il fallut agrandir la chapelle. Ces travaux terminés, l’édifice se trouva encore trop étroit pour l’auditoire. Après avoir prêché le dimanche dans les plus vastes salles de concerts qui existent à Londres, M. Spurgeon recueillit des souscriptions afin d’ériger un autre temple qu’il intitula lui-même le Tabernacle.