Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 60.djvu/855

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tour à tour grave ou comique, tombant du sublime au grotesque et au trivial, « tantôt Ézéchiel et tantôt Scaramouche, » il a incontestablement fondé en Angleterre une nouvelle école d’éloquence sacrée. Les autres prédicateurs du Tabernacle cherchent à l’imiter et n’y réussissent guère : il leur manque pour cela cet accent fort et pur qui domine les grandes eaux de la foule, cette verve mordante qui donne à la polémique religieuse l’intérêt des debating clubs (clubs des débats), et surtout cet art de dramatiser la chaire en saisissant les imaginations. M. Spurgeon prête par plus d’un côté à la caricature. Aussi le crayon des artistes anglais ne l’a-t-il point épargné[1]. De même que Socrate, il a eu l’honneur d’être joué de son vivant sur la scène. Ces traits de la critique s’adressent à un talent bizarre, mais réel : pourquoi donc aurait-il la faiblesse de s’en émouvoir ? M. Spurgeon se distingue par des idées libérales. Aux dernières élections, il soutint de sa grande influence, au moyen d’une affiche placardée sur les murs de Londres, la candidature de M. Thomas Hughes, le célèbre auteur de Tom Brown’s School days. Cette intervention d’un ministre dissident dans les affaires publiques n’a ici rien qui étonne, ni qui soit contraire aux mœurs. Il ne faut pas oublier qu’en Angleterre les institutions civiles ont été en quelque sorte coulées dans le bronze des croyances religieuses.

Une des scènes les plus intéressantes du Tabernacle est le baptême des adultes, qui a lieu généralement le jeudi soir après le service. Une vingtaine de catéchumènes se groupent sur une plateforme qui occupe une des extrémités de la salle au-dessous de la chaire. Les jeunes filles sont habillées de blanc, elles portent des bonnets relevés d’un tour de dentelle qui leur serrent étroitement la tête ; leurs robes longues et tombant à plis droits, l’espèce de pèlerine qui leur couvre les épaules, leur air modeste et recueilli, tout dans leur costume et dans leur attitude rappelle les statues de saintes qu’on voit dans les anciennes églises. Les hommes sont revêtus d’une robe de chambre avec une cravate ou un col blanc. Au milieu de la plate-forme s’ouvre un réservoir d’eau, à l’entrée duquel se placent deux diacres en habits bourgeois, tandis que M. Spurgeon, revêtu cette fois d’une longue toge cléricale à manches flottantes, disparaît à moitié dans l’intérieur du bassin. C’est maintenant le tour des néophytes. L’une des jeunes filles descend

  1. C’était la mode, il y a trois ou quatre ans, de représenter M. Spurgeon sous la forme d’un gorilla, par allusion à la dispute célèbre qui eut lieu en Angleterre sur ce singe à figure humaine dans lequel l’orateur « se refusait, disait-il, a reconnaître un de ses ancêtres. »