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de citer aucun des historiens ou géographes de l’époque romaine.

Mais cette langue des Touaregs et des Kabyles djurdjuriens est également parlée dans les divers massifs montagneux de l’Algérie, dans les oasis du Sahara, au sein des populations marocaines. C’est la langue en un mot de tous les indigènes qui n’appartiennent pas à l’élément arabe et qui lui ont préexisté. En bien des points certes, le mélange de l’idiome arabe a modifié le langage kabyle ; bien des dialectes sont nés de ces altérations que l’isolement progressif des tribus kabyles par suite des invasions suffit à expliquer, et il va de soi que telle expression puisse être en usage chez les Touaregs et avoir disparu dans le Djurdjura ou ailleurs. Il va de soi encore que la langue se retrouve plus pure là où les populations sont restées plus à l’abri de l’influence étrangère. Un fait capital pourtant, c’est que le fond de la langue kabyle, la grammaire, les formes essentielles sont partout demeurés identiques. Les historiens arabes, Léon l’Africain et Ibn-Khaldoun, s’accordent à établir que, lors de son irruption dans le nord de l’Afrique, la race arabe y trouva une seule et même langue parlée par les indigènes, incomprise par les nouveau-venus, et ainsi s’est vérifiée cette importante parole de saint Augustin[1] : « En Afrique, les nations barbares n’usent que d’un seul langage. »

Les barbares ! de ce mot les Arabes ont fait celui de Berbères, nous-mêmes aussi en avons fait celui d’états barbaresques. Les Romains l’avaient emprunté aux Grecs pour désigner surtout ceux de leurs ennemis dont ils ne comprenaient pas la langue, et c’est une idée semblable que le poète exilé exprima plaintivement dans ce vers connu :


Barbarus hic ego sum quia non intelligor illis[2].


Derrière les sables du désert, la langue antique des Africains devait, comme leur indépendance, trouver l’abri le plus naturel et le plus reculé. Il n’est pas étonnant que les Touaregs, plus éloignés du contact des envahisseurs, aient plus que d’autres conservé la langue type des Kabyles avec ses caractères écrits ; mais après le leur le dialecte le plus pur est celui qu’on parle sur les deux ver-sans djurdjuriens, et auquel les Zouaouas donnent leur nom. Voilà vraiment le peuple à qui il faut faire honneur d’avoir, sur sa montagne située en plein Tell et si souvent battue par le flot des invasions, maintenu sauves sa langue et ses traditions nationales. Oui, certains traits physiques subsistent dans le Djurdjura comme

  1. Cité de Dieu, liv. XVI, cil. 6.
  2. « On me traite ici de barbare, parce qu’on ne me comprend pas. » Ovide, les Tristes, liv. V, élégie X.