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témoignages d’immigrations éteintes ; mais que prouvent-ils ? Que le Djurdjura fut hospitalier aux derniers représentans. des puissances détruites. Il ne les a reçus cependant que pour les absorber : la vieille langue est vivante, beaucoup des noms des tribus d’autrefois restent les mêmes, c’est à leurs places de jadis que nous les retrouvons ; c’est le même goût des demeures fixes, le même esprit de fédération, le même amour de la liberté que nous voyons se perpétuer depuis les Quinquegentiens jusqu’aux Kabyles de nos jours. On a donc bien le droit de reconnaître dans ces anciens habitans du Djurdjura les pères de nos Kabyles, et c’est à ce titre qu’il est intéressant d’étudier le rôle qu’ils ont joué en face de Rome conquérante, l’attitude que Rome a gardée vis-à-vis d’eux.


II

Le pays du Mons-Ferratus, avant l’occupation du nord de l’Afrique par les Romains, appartenait à la Numidie de Massinissa ; Polybe et Strabon font gloire à ce prince d’avoir été le premier à fixer au sol et à transformer en tribus agricoles une partie de ses tribus nomades. Pendant une période de près d’un siècle, Massinissa et Misipsa, son fils, règnent à titre de rois indépendans, mais alliés du peuple romain, sur des états que représente l’Algérie française. La révolte et la défaite de Jugurtha viennent changer Rome d’alliée en suzeraine, et amènent l’annexion de la Numidie occidentale, — avec le Mont-de-Fer, — à la Mauritanie, sous le gouvernement de Boc-chus, qui ouvre la série des rois vassaux. En l’an 33 avant Jésus-Christ, Auguste convertit la Mauritanie en province ; bientôt cependant il préfère, par une apparente concession, lui rendre un roi indigène : c’était un prince façonné à Rome, Juba II, le modèle des rois complaisans. Le sentiment national des tribus mauritaniennes ne prit pas longtemps le change : humiliées par des rois esclaves, elles s’insurgent contre Juba en l’an 6 de notre ère, plus tard contre Ptolémée son successeur en l’an 17, et les annales latines font alors leur première allusion aux montagnes du Djurdjura pour y signaler l’écho du cri de guerre poussé par le Numide Tacfarinas[1].

Déserteur des troupes de l’empire, Tacfarinas était devenu le chef des Musulans, nation barbare que Tacite place au sud et non loin d’Auzia (Aumale). Sa révolte entraîna rapidement les diverses populations maures et maziques depuis Cœsarea (Cherchel) jusqu’au désert de Tripoli, et tint durant huit années Rome inquiète et ses

  1. Voyez Tacite, Annales, liv. II, ch. 52 ; liv. III, ch. 26, 73 cl 74 ; liv. IV, ch. 23, 24 et 25.