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communes, ce n’est pas au sortir de la tutelle administrative qu’on peut leur demander de grands efforts. Ce sont des éponges qu’une main toute-puissante presse et remplit tour à tour. Elles ont besoin d’être émancipées, et cependant elles ont besoin de guides. Nous tournons, je le sais bien, dans un cercle vicieux, car il nous manque l’impulsion morale du progrès. Les Irlandais émigrés, qui arrivent à Boston dans la rudesse inculte de leur pays natal, sont tous pressés d’envoyer leurs enfans à l’école : ils suivent le courant qui les entraîne, ils sont bien forcés de se mettre au commun niveau. Pour nous, il faut que la loi nous y contraigne.

Les procédés du despotisme sont, je l’avoue, bien plus commodes : un petit nombre d’hommes éclairés suffisent à gouverner le troupeau populaire, à l’aide de quelques chiens de garde qui obéissent sans savoir ce qu’ils font ; mais dans une démocratie le troupeau doit se conduire lui-même et conduire aussi le berger. Les fondateurs de la colonie le comprirent il y a deux siècles, quand ils posèrent en principe la publicité et la gratuité de l’instruction. Le jour où chez nous toute ville de deux cent mille âmes trouvera, comme celle de Boston, quatre millions par an à mettre à ses écoles, nous aurons réalisé à la fois le plus grand progrès politique et le plus grand bienfait moral.

En finissant ma visite aux écoles, je veux vous montrer un peu mon aimable et excellent cicérone, M. Wendell Phillips. La première chose qui frappe en lui, c’est la douceur et la bonté : on a peine à se figurer que cet homme si simple, si affable, soit le fougueux orateur et homme de parti que tout le monde s’accorde à placer au premier rang de l’éloquence américaine. C’est un grand homme au nez cassé, au menton en avant, au front découvert, aux cheveux roux qui grisonnent, à l’œil brun pâle et plein de tranquillité souriante. Il porte toujours un grand chapeau gris à larges bords, qui lui donne l’air d’un vieux botaniste. On le dit possesseur d’une grande fortune qu’il consacre tout entière à la cause de l’abolition. On se demande, en le voyant, où est cachée l’énergie dont il a fait preuve en mainte rencontre périlleuse et la passion convaincue qui le désigne à la haine des esclavagistes.

Voilà les hommes, que je vois à Boston, aussi simples qu’ils sont supérieurs. Promenez-vous dans les bibliothèques, dans les musées, vous trouverez partout ce type du lettré vêtu de noir, d’une physionomie ouverte et douce, courtois de manières, et plein de ce calme aimable que donnent les études élevées. Une pépinière de pareils hommes peut être le salut d’un peuple. Quand je me souviens qu’il y a peu d’années ils étaient injuriés, outragés, frappés même, que s’enrôler dans cette phalange de l’abolitionisme et de la