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chien, ni maître. Cependant ces livres, ces tableaux, ces objets d’art, l’air aimable et studieux de cette bibliothèque ornée de fleurs, le goût qui semblait avoir présidé à tous ces arrangemens modestes, — puis ce choix d’une existence retirée à la campagne, dans le voisinage pourtant de la société lettrée de Boston, cette tranquillité du foyer domestique, cette porte ouverte et hospitalière que nous poussions sans cérémonie pour pénétrer jusqu’au sanctuaire de la famille, tout me prévenait en faveur des habitans inconnus de cette maison.

J’y retournai hier, conduit par un proche parent du poète. Depuis trois ans, M. Longfellow, dont une grande, une irréparable douleur a attristé la vie, n’est guère sorti de sa maison et n’a plus voulu voir qu’un petit nombre de vieux amis. Ceux-ci me disaient : « Vous verrez comme il est bon, aimable, gracieux ! » Quelques-uns même ajoutaient : « C’est un ange ! » Et assurément, si jamais la bonté et la beauté morales se sont peintes en traits visibles sur une figure humaine, elles résident dans le visage noble et doux, dans le regard franc et gracieux de l’homme qui s’est levé pour me tendre la main. Ce n’est plus sans doute l’élégant poète dont j’ai vu le portrait chez les marchands d’estampes. Il a terriblement vieilli et changé depuis trois ans. Ses longs cheveux gris, sa grande et épaisse barbe grise lui donnent à présent l’air du vieil Homère, son sourire fin reste noyé d’une tristesse indicible ; mais sur son grave et mâle visage règne encore une sorte de charme féminin. Quelle différence d’ailleurs entre ce père de famille tranquille qui veille à l’éducation de ses enfans et à l’ordre de sa maison et nos poètes fiers-à-bras toujours élevés sur le prétentieux piédestal de leur immense fatuité ! Cela seul me prévient en sa faveur, autant que me dégoûtent d’avance de certains génies le charlatanisme théâtral et l’orgueilleuse bassesse qui les accompagne.

Je ne connais pas encore beaucoup ses ouvrages ; mais à côté de choses peut-être un peu tièdes et de courte haleine j’en ai trouvé, en les feuilletant, de charmantes et toujours marquées à ce coin de discrétion et de délicatesse exquises dont toute sa manière a l’empreinte. Il excelle surtout dans le choix des mots et des images, dans la fraîcheur et la pureté matinale du coloris. La forme, toujours riche et parée, a cependant cette allure naïve, pour ainsi dire homérique, qui est la marque du vrai poète. Il trouve à chaque pas des comparaisons délicieuses, presque enfantines, mais pleines d’une simple et sereine grandeur. Quoi de plus beau par exemple que ce tableau sobre et rapide de « la bénédiction qui tombe des mains du prêtre comme la semence tombe des mains du semeur ? » Quoi de plus ravissant que ces deux vers : « Ces discours tombèrent