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Ce matin, M. E…, vieillard aimable et instruit, m’a conduit à Cambridge, en pays universitaire. Cambridge est surtout une ville d’étudians et de professeurs : c’est là qu’est établi le fameux collège de Harvard, une de ces vastes et florissantes institutions privées que l’Amérique oppose avec orgueil aux établissemens officiels de l’Europe. Toutes les familles riches y envoient étudier leurs fils, comme en Angleterre aux universités d’Oxford ou de Cambridge. Harvard-Collège dans le nord, comme l’université de Virginie dans le sud, a longtemps été la pépinière des hommes les plus distingués de l’Amérique. Soutenu par de riches dotations, il compte parmi ses anciens présidens ou recteurs les hommes les plus considérables de Boston. Les bâtimens de l’université occupent de vastes enclos champêtres, dispersés parmi les prairies qu’ombragent encore des groupes d’ormes et de chênes. Les professeurs vivent dans de jolies maisonnettes, placées à deux pas de leurs laboratoires ou de leurs amphithéâtres, comme le presbytère à côté de l’église. J’y ai vu une spacieuse bibliothèque, réservée aux étudians, admirablement rangée dans un grand édifice de brique et de fer élevé tout exprès, et fort au courant de toutes les nouveautés de l’Europe. Mon guide me mena chez le professeur Asa Gray, nom bien connu de tous les botanistes et porté par un homme doux, sérieux, aimable, enjoué, qui soigne ses herbiers et ses serres avec une affection toute paternelle, jeune encore du reste et n’ayant point du tout les dehors du vieux savant. Enfin nous allâmes voir dans son musée M. Agassiz, à qui par occasion j’ai entendu faire une lecture. Il avait tout au plus une trentaine d’auditeurs venus du dehors, car ce n’était pas une des leçons régulières de l’université ; c’était simplement un cours d’amateurs où l’illustre savant essaie de donner un intérêt positif et pratique à l’enseignement de la zoologie élémentaire. À la fin de la leçon, il mit en délibération et fit voter l’heure des leçons prochaines. L’attention de son petit auditoire de jardiniers et d’artisans de Cambridge n’était pas certainement moins remarquable que la complaisance du professeur lui-même, qui, désireux avant tout d’instruire, se mettait de si bonne grâce aux ordres du public.


4 décembre.

J’ai fait hier une visite au Court-house pour y voir les cours de justice. J’entrai par la porte dérobée d’où sortirent il y a dix ans, entre deux haies de soldats, les esclaves fugitifs Sims et Burns, restitués à leurs maîtres en obéissance à la loi qui régnait alors et malgré la colère du peuple de Boston, qui menaçait de faire résistance ouverte à cet acte de violence légale. Une population immense assiégeait le Court-house, et remplissait les rues par où