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pauvre servante irlandaise, qui avait les yeux rouges, la tête basse et un air de terreur. Sa maîtresse, une lady portant châle et chapeau, l’accusait d’avoir dérobé le prix d’une pièce d’étoffe. Le juge, toujours unique (la cour de comté est la seule qui soit composée de deux juges), siégeait sur son tribunal, à peine élevé d’un pied au-dessus de la salle, simplement vêtu d’un frac noir, comme le premier venu. Nulle affectation de gravité, nulle majesté théâtrale dans son maintien ni dans son langage. Il n’avait pas le mauvais goût de triompher de sa victoire facile sur la pauvre pécheresse humiliée. Il lui parlait familièrement, avec bonté, faisant de son mieux pour contenir la crise de larmes et de sanglots qui allait éclater à toute minute ; puis il se tourna vers l’accusatrice, recueillit brièvement son témoignage et celui d’un marchand qui venait déposer à l’appui. — Ensuite vint un commerçant qui réclamait le paiement d’une grosse dette, plusieurs milliers de dollars. Le juge l’interrogea, recueillit sa plainte, puis, comme l’affaire dépassait le maximum de sa compétence, il la renvoya devant le jury, qui siège à la cour supérieure du comté. En une demi-heure, le juge avait expédié quatre ou cinq affaires ; à chaque minute, les constables amenaient de nouveaux accusés, introduisaient de nouveaux témoins. Il n’y a pas d’instruction secrète. Ce qu’on appelle l’instruction se fait à l’audience devant le juge de ce tribunal, qui interroge, non pas l’accusé, mais les témoins et les plaignans. L’avocat réplique, par un contre-interrogatoire (cross-examination) présente ses conclusions ; le juge alors prononce verbalement son arrêt. Si l’affaire est réservée au jury, il la renvoie à la cour supérieure ; si l’accusation est évidemment erronée, il renvoie le prévenu sans appel et sans autre forme de procès. Tout cela doit se passer dans les vingt-quatre heures avant que le prévenu ait offert bail et obtenu sa mise en liberté provisoire.

Quand une affaire a traversé ces trois degrés de juridiction, la loi de l’état est satisfaite, mais la justice n’a pas dit son dernier mot. À côté des cours de l’état, ou plutôt en face d’elles, siège la cour fédérale, qui juge en appel, suivant la loi des États-Unis. Enfin au-dessus des cours fédérales qui siègent dans chaque district s’élève l’autorité judiciaire souveraine, la cour suprême de l’Union. Ici nous passons de l’ordre judiciaire dans l’ordre politique : la cour des États-Unis, pas plus que la cour suprême de l’état, n’a le droit de rendre des décisions générales et législatives ; mais, comme elle est souveraine et sans appel, elle a en réalité un pouvoir immense dans l’interprétation des lois. La constance de ses décisions dans un certain sens équivaut à un véritable arrêt de règlement. Vous savez d’ailleurs ses attributions : non-seulement elle applique souverainement et en dernier ressort la loi des