Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 60.djvu/957

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

suivie, la campagne entreprise contre les Tcherkesses, leur soumission et l’asservissement du Caucase tout entier. Isolés et abandonnés des autres tribus, cernés d’un côté par les Cosaques de la ligne, de l’autre par les troupes de l’armée régulière, désunis entre eux, sans chefs, sans direction, ces intrépides montagnards ont pu cependant tenir tête durant quatre ans à des forces écrasantes. Dans ce duel engagé entre eux et un adversaire abhorré, leurs bras affaiblis étaient soutenus par le sentiment qui met en jeu le plus énergique ressort de l’homme, le désespoir du moment suprême. Ils savaient d’avance le triste sort qui leur était réservé : quitter le sol natal, leurs foyers, la terre de leurs ancêtres, pour aller s’établir dans une autre partie du Caucase sous la surveillance des Russes ou bien émigrer en Turquie. Plus malheureux mille fois que leurs frères du Caucase oriental, qui, forcés d’accepter le joug étranger, avaient du moins conservé leur patrie et leurs propriétés, les Tcherkesses, en perdant tout ce qui leur était cher, n’avaient d’autre choix que l’internement ou l’exil, cruelle alternative, nécessité fatale de la conquête, que le vainqueur lui-même ne pouvait leur épargner, et qui a causé toutes leurs calamités. C’est alors qu’ils s’acheminèrent en masse vers la Turquie ; leur départ, précipité par une panique générale et semblable à un débordement subit et imprévu qu’aucun effort humain ne peut contenir ni diriger, s’accomplit dans les plus effroyables conditions que l’on puisse imaginer. Lamentable odyssée d’un peuple tout entier ! ces infortunés, décimés par le fer des Russes et par des maladies épidémiques, souffrant du dénûment et de la faim, pareils à des enfans incapables de se protéger eux-mêmes, sont allés s’abattre sur le territoire ottoman, où des maux bien plus grands encore les attendaient, et qui pour le plus grand nombre d’entre eux est devenu un tombeau.


I

Avant de commencer le récit des dernières convulsions et de la chute de la nationalité tcherkesse, il nous faut d’abord jeter un coup d’œil sur les lieux qui en furent le théâtre et dire les révolutions intérieures qui préparèrent cette grande catastrophe. Si l’on remonte à travers l’isthme du Caucase, sur une étendue de 200 verstes environ, en suivant le cours du Kouban depuis son liman dans la Mer-Noire, un peu au-dessous du détroit de Kertch, jusqu’au point où ce fleuve s’infléchit tout à coup en se dirigeant vers le mont Elbrouz, son berceau, on obtiendra les deux côtés d’un triangle équi-