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abatis d’arbres et un assemblage de quartiers de roche, travail de défense exécuté grossièrement sans doute, mais assez solide pour arrêter toutes les attaques extérieures. Chacun de ces aoûls était une véritable forteresse capable de soutenir un siège régulier ; l’agression fut donc aussi difficile et laborieuse que la défense fut opiniâtre et meurtrière.

Jamais peut-être dans aucun autre lieu du globe la main du Créateur n’a paré la nature de plus de beautés sublimes ou de plus de grâces ; aucune contrée n’étale avec autant de profusion ces séductions qui attachent le cœur de l’homme au sol natal par des liens que rien ne peut rompre ; aucune n’est plus propre à inspirer l’amour de l’indépendance, si chère au montagnard. Au-dessus des plaines limoneuses du Kouban, tapissées de prairies d’un vert tendre, s’élèvent les étages successifs de la montagne, recouverts du sombre manteau de leurs forêts séculaires, et plus haut, les dentelures de la grande chaîne, blanchies par la neige, immergées dans un océan de nuages ou se détachant sur l’azur du ciel.

Malgré l’imperfection relative de nos connaissances ethnographiques sur les peuples disséminés dans la zone dont je viens de tracer les limites, on peut les rattacher avec certitude à deux souches principales : les Abazes ou Abkhazes, habitant vers le sud, que les écrivains de l’antiquité ont très bien connus et décrits, et les Tcherkesses ou Adighés. C’est de l’Abkhazie, pays moitié musulman et chrétien, que sont sorties les tribus qui, remontant vers le nord et se répandant dans les vallées du voisinage, y ont rencontré les Tcherkesses, avec lesquels ces tribus se sont mêlées ou sont restées limitrophes. D’après les traditions des Tcherkesses, ils occupaient autrefois des demeures plus éloignées vers le nord, d’où ils ont été refoulés par des populations de race mongole ou tartare au-delà du Kouban et tout le long de ses rives.

Dans ces derniers temps, quatre tribus figuraient au premier rang comme les plus nombreuses et les plus puissantes ; elles groupaient autour d’elles une foule de petits clans, vivant dans leur clientelle et sous leur protection, partageant tour à tour la fortune de celle de ces quatre tribus que les chances heureuses de la guerre, les événemens politiques ou d’autres circonstances investissaient de l’hégémonie. Ces quatre tribus principales étaient les Natoukhaïs, placés à l’embouchure du Kouban, dans les environs d’Anapa ; — au-dessous d’eux, les grands et les petits Schapsougs, dans l’intervalle compris entre les fleuves Touaspe et Schapsougo, sur la côte ; — les Abadzekhs sur le revers septentrional de la chaîne ; — les Oubykhs vers le sud, tout le long du littoral. Cet ensemble de populations formait un total qui, au début de la dernière