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démarches. Cependant au bout de quelques mois ils furent amnistiés à l’occasion de la fêté du sultan et rappelés dans la capitale[1]. C’est ainsi, ajoute le correspondant de la Gazette de Trieste, que la neutralité de la Mer-Noire, proclamée l’année précédente par le traité de Paris, servit pour la première fois à fournir des armes et des munitions au vieil ennemi de la Russie. Sans avoir besoin de faire remarquer que c’était là précisément une violation flagrante de ce même traité, nous nous bornerons à dire que ces tentatives en faveur des Tcherkesses, mal combinées et contrariées par les croiseurs russes, avortèrent presque toujours, et, loin d’être utiles à ceux pour qui elles étaient entreprises, n’eurent d’autre résultat que d’empirer leur situation vis-à-vis d’un ennemi irrité et rendu, implacable.

Les efforts de Schamyl pour gagner ces peuples à sa cause et les ranger sous son autorité ne leur furent pas moins préjudiciables. Pendant longtemps, ces efforts n’eurent aucun résultat ; ses agens ne pouvaient parvenir chez les Tcherkesses avec un appareil militaire et les forces nécessaires pour appuyer leur mission. Le vaste espace qui sépare le Daghestan de la province du Kouban, et qu’il leur fallait traverser, était au pouvoir des Russes, habité par des tribus pacifiées. Ce n’est qu’en se glissant furtivement à travers les forêts et un à un, que ces envoyés pénétraient sur le territoire tcherkesse. Leur seul moyen d’action était la prédication du muridisme et de l’apostolat de l’imâm ; mais leur voix ne rencontra que de rares échos, leurs exhortations ne furent pas écoutées, et ils ne recrutèrent qu’un très petit nombre de prosélytes. Les Tcherkesses, ainsi que nous l’avons déjà fait observer, sont de très mauvais musulmans, dépourvus de convictions religieuses, incapables de comprendre les doctrines abstraites et mystiques du muridisme, très

  1. Un peu plus tard Ismayl, mécontent des procédés de la Porte envers lui, se brouilla, et cette fois pour tout de bon, avec elle ; il renonça à toutes ses fonctions officielles et fit entendre hautement de dures vérités. Impliqué dans une conspiration, il fut incarcéré et tenu au secret pendant huit mois ; enfin on le relâcha pour le reléguer dans l’île de Chypre. De là il réussit à s’évader et à se réfugier parmi ses compatriotes du Caucase. Les causes de sa disgrâce, ainsi que les secrètes intrigues dont les Tcherkesses ont été victimes de la part de leurs prétendus protecteurs et amis, sont dévoilées dans une brochure anonyme qui a pour titre : des Nationalités asiatiques et de la Circassie, notes originales d’un Circassien musulman, traduites et commentées par un Franc de Palestine, Paris 1861. Dans ce travail, d’ailleurs fort intéressant, l’auteur s’exprime avec une telle liberté de pensée et une si grande crudité de langage, que le plus simple sentiment de réserve nous empêche de reproduire ici les faits qu’il raconte ; seulement il se trompe en appelant Méhémet-Amin un derviche défroqué. Celui-ci n’a jamais appartenu à aucun ordre monastique musulman ; c’était un des murides de Schamyl, et à ce titre, et comme le plus habile, il fut choisi par l’imam comme son lieutenant parmi les populations du Kouban.