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donnèrent Méhémet-Amin. Cette défection suscita entre les deux chefs une rivalité sourde, qui ne tarda point à dégénérer en un antagonisme déclaré, et eut pour résultat d’affaiblir l’autorité de l’un et de l’autre et de séparer les montagnards en deux camps. C’est dans ces conjonctures, et pour mettre fin à ces désordres, qu’ils élurent Méhémet-Bey ; mais le nouveau chef ne réussit pas mieux que les autres à rétablir leurs affaires. On le voit en effet apparaître un instant sur le théâtre de l’action, pour s’éclipser aussitôt et rentrer dans une obscurité d’où il n’est plus sorti. Sur ces entrefaites, l’envoyé de la Porte, Sefer-Pacha, mourut, et son fils, Karabatyr-Zanoko, ne lui succéda point. Méhémet-Amin, déjà ébranlé par cette rivalité, reçut en ce moment le contre-coup de la défaite de Schamyl. Son mandat finissait légalement par la disparition de celui de qui il le tenait. Se substituer à lui comme imâm et s’arroger ce titre suprême était chose impossible, lorsque ses prérogatives comme naïb étaient battues en brèche par une très forte opposition. Sa situation difficile et précaire vis-à-vis des montagnards le devint bien davantage par l’approche de l’armée russe, rendue disponible par la soumission du Daghestan ; saisissant le premier prétexte venu pour se mettre lui-même à l’abri et sauver ses richesses, il ménagea une trêve entre les Russes et les Abadzekhs, et l’année suivante, laissant les montagnards se tirer d’embarras comme ils le pourraient, il se retira en Turquie avec une pension du gouvernement de Saint-Pétersbourg.

La sollicitude intempestive ou intéressée de la Turquie pour les Tcherkesses et la mission qu’elle avait confiée à Sefer-Pacha n’avaient donc abouti qu’à les rendre plus désunis et plus faibles précisément au moment où ils allaient avoir sur les bras toutes les forces du Caucase et où le péril était immense et imminent.

Pour comble de disgrâce, celui des gouvernemens européens qui semblait avoir un intérêt réel à les protéger, et sur la bienveillance duquel ils comptaient, le gouvernement anglais, les délaissa entièrement. En 1863, lorsque les armes de la Russie devenaient de plus en plus menaçantes et que la crise finale s’annonçait comme inévitable, deux Tcherkesses, Hadji Hayden Haçan et Roustam Ogli, furent envoyés à Londres par le comité circassien de Constantinople pour adresser un suprême appel à la commisération britannique. Ils présentèrent une pétition dans ce sens à la reine ; la réponse du comte Russell suivit immédiatement ; elle contenait un refus bref et formel. Vainement quelques voix au sein du parlement et dans le comité circassien de Londres firent entendre de sympathiques protestations. Éconduits officiellement et désappointés, les deux députés essayèrent de soulever l’opinion publique, et ils se mirent à