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le livrer n’y paraisse plus grande. Chez nous, l’étranger est normalement sous la main de l’administration ; il est donc naturel que celle-ci soit juge souveraine de la demande d’extradition et de la suite qu’il convient de lui donner. En Angleterre, l’étranger est comme le citoyen sous la protection de la justice ; il faut donc que la justice le livre, par conséquent qu’elle apprécie, comme le fait chez nous l’administration, les motifs de le livrer, et qu’elle les apprécie à sa manière, c’est-à-dire dans une instruction publique et contradictoire. Il s’ensuit cette différence, qu’on ne saurait avoir trop présente à l’esprit pour comprendre la question en litige : en France, l’extradition est naturellement une affaire d’administration ; en Angleterre, elle est nécessairement une affaire de justice. Il est tout simple qu’en France chaque demande d’extradition soit appréciée à huis clos par le ministre compétent, et que la même autorité qui a le droit de bannir l’étranger ait le pouvoir de le livrer ; il n’est pas moins naturel qu’en Angleterre chaque demande d’extradition prenne la forme d’une instance engagée devant le juge avec la publicité et les garanties accordées indistinctement par la loi à tous les accusés. Qui peut, en effet, décider de l’extradition de l’étranger sinon le même juge qui décide en tout temps de son sort ? Le ministre anglais qui de sa propre autorité porterait la main sur l’étranger serait aussi certainement condamné pour arrestation illégale que s’il avait attenté à la liberté d’un citoyen. Il faut donc que l’étranger réclamé par son gouvernement soit privé de sa liberté selon les formes ordinaires, et qu’un motif suffisant soit fourni aux juges pour l’en priver. Si l’on cherche à quel point de la procédure anglaise le fait de l’extradition peut se produire sans rompre l’économie de cette procédure et sans en détruire les garanties salutaires, on sentira sans peine que c’est à ce point de l’instruction publique et contradictoire où le juge, déclarant qu’il y a lieu à suivre, renverrait l’accusé en cour d’assises, s’il n’était pas un étranger réclamé par son gouvernement. L’effet d’une convention d’extradition sera donc de faire prononcer l’extradition par le juge au même moment où, dans une affaire ordinaire, il aurait prononcé le renvoi en cour d’assises, et sur les mêmes indices qui l’y auraient déterminé.

Cette marche différente d’une demande d’extradition, cette manière différente d’y donner suite découlent si naturellement des lois des deux pays et sont si bien déterminées par la nature des choses que la convention de 1843 tient compte de cette différence, et n’est dans ses termes qu’une application logique des principes que nous tenons d’énoncer. « L’extradition sera effectuée, dit l’article 2 de cette convention, de la part du gouvernement français sur l’avis du garde des sceaux ministre de la justice, après production d’un mandat