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nous débarrasser pour un temps de l’éternelle cavatine en mineur sur le triste destin fait aux lauréats de l’Institut. Espérons que nous en avons fini avec ce rabâchage. Voilà un vieux cheval de bataille qui désormais n’a plus d’emploi, une haridelle qu’il faut maintenant conduire à l’équarrisseur, quitte à faire de sa peau un tambour pour célébrer la gloire du nouveau triomphateur.

Ce vainqueur olympique d’hier s’appelle M. Barthe, et son opéra la Fiancée d’Abydos. On racontait merveilles de cette partition ; le théâtre, après avoir fait acte de libéralisme envers la jeunesse, s’arrangeait de manière à tirer de sa vertu le meilleur parti possible. C’était son droit ; en conséquence un grand luxe d’avant-propos, beaucoup de bruit, de mise en scène prémonitoire, et comme témoignage irrésistible, suprême, d’une confiance sans bornes dans le succès, l’étoile de la troupe sur l’affiche ! L’événement, hélas ! n’a rien tenu de ce qu’on en attendait, je devrais dire de ce qu’on se donnait l’air d’en attendre, car c’est assez l’habitude de la maison d’aimer les clairons haut sonnans et de monter au Capitole aux veilles de défaite. Quant au mérite de la partition, on aurait tort de n’en pas tenir compte. Ce n’est certes point là un coup de maître, mais le très intéressant début d’un musicien, d’un homme qui, si jeune qu’il soit, sait son affaire et vous le prouve. Dès les premières mesures de l’introduction, vous sentez une main habile aux curiosités instrumentales, et, une fois à l’œuvre, cette dextérité ne s’arrête plus, si bien que vous finissez à la longue par regretter tant de force acquise dont le déploiement prestigieux ne laisse aucune place à la personnalité. Je fais la part la plus large aux tâtonnemens de la première heure, je sais que le Rossini d’Aureliano in Palmira n’est point le Rossini de Guillaume Tell, du Comte Ory, pas plus que le Meyerbeer d’Emma di Resburgo n’est le Meyerbeer du Prophète et de l’Africaine. Il n’en est pas moins vrai qu’on pouvait, dès cette période de début, saisir chez les deux compositeurs un semblant de physionomie, un trait caractéristique, et cette physionomie, ce trait, c’était, si l’on veut, l’Inexpérience, ce quelque chose de naïf propre au génie, au talent supérieur, qui, tout en prodiguant les premiers dons par lesquels il s’affirmera plus tard, ne prend même pas la peine de déguiser ses plagiats. Or la partition de la Fiancée d’Abydos ne me montre rien de semblable, j’y vois partout l’habileté, la maestria dans la rouerie, et, à la place de ces généreuses bouffées d’imitation, de ces réminiscences instinctives, dont l’exemple se retrouve à chaque pas chez les plus grands maîtres, une sorte de reproduction parfaitement consciente de toutes les écoles et de tous les styles.

Êtes-vous comme sir John Falstaff ? aimez-vous le vin d’Espagne ? En voici tout un flot. Si, au contraire, vous préférez les grands crus de France, d’Italie ou d’Allemagne, vous n’avez qu’à tendre votre verre. C’est l’histoire de ce fameux tonneau de Cette. Demandez, et sur l’instant vous serez servi. D’ailleurs rien qui sente le frelaté, la contrebande ; le franc goût de raisin