Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 61.djvu/1069

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

observation une éclipse totale de soleil ; dans ce cas seulement, le soleil étant caché derrière la lune, il serait possible qu’on vît briller ces planètes, comme de faibles points lumineux, dans les environs de l’astre éclipsé. Toutefois il nous resterait encore une chance de les découvrir d’une autre manière : nous pourrions les voir de dos, lorsqu’elles passeraient au-devant du soleil. Mercure se présente dans cette position à peu près treize fois dans le cours d’un siècle. On n’en voit alors que l’hémisphère où il fait nuit, et la planète se dessine comme une petite tache très noire et parfaitement circulaire sur le disque lumineux du soleil, où elle chemine lentement dans la direction de l’orient à l’occident. Ce phénomène du passage de Mercure peut avoir lieu seulement aux époques où la planète se trouve sur la même ligne droite avec la terre et le soleil, ce qui n’arrive que dans les mois de mai ou de novembre. Un passage de Mercure peut d’ailleurs durer cinq heures et plus, selon la région du disque solaire où il s’effectue. Le dernier passage a été observé le 12 novembre 1861 ; il y en aura un autre le 5 novembre 1868.

Les planètes dites intra-mercurielles devraient, comme Mercure, se montrer de temps à autre sur le disque lumineux de l’astre. On peut même dire que nous devrions les y rencontrer beaucoup plus fréquemment. En effet, plus les planètes se rapprochent du soleil, moins elles mettent de temps à en faire le tour ; par conséquent, nos planètes inconnues étant supposées plus voisines du soleil que Mercure, elles accompliraient deux ou trois révolutions pendant une seule révolution de Mercure, et auraient par suite deux ou trois fois plus de chances de s’interposer entre le soleil et la terre. On les verrait alors projetées sur le disque solaire sous la forme de petites taches rondes et noires qui entreraient par le bord oriental, mettraient quelques heures à parcourir la surface lumineuse d’un mouvement uniforme, et disparaîtraient finalement par le bord opposé.

Mais si ces corps mystérieux existent réellement, nous dira-t-on, comment se fait-il qu’on ne les ait jamais vus depuis tant d’années qu’une foule d’astronomes observent le soleil presque journellement ? A cela nous devons répondre que plus d’une fois on croit les avoir vus. Malheureusement la plupart de ces observations ne résistent pas à un examen sérieux. Il faut écarter tout d’abord celles qui ont été faites à l’œil nu. D’après Lycosthène, Mercure passa sur le soleil le 17 mars 778 ; Adelmus raconte dans sa Vie de Charlemagne que l’on vit la même étoile dans le soleil le 17 mars 807 ou 808, comme une petite tache noire ; l’astronome arabe Avén Rodan, qui vécut vers 1160, rapporte qu’il a vu le même phénomène ; Kepler lui-même a cru voir Mercure dans le soleil, le 28 mai 1607, eu observant l’image solaire projetée dans une chambre obscure à travers un trou du volet. Aucune de ces époques cependant ne coïncide avec un passage de Mercure, et quand même cela aurait été vrai, le disque de la planète n’eût pas été perceptible à l’œil nu. Kepler, interpellé par Fabricius, convint plus tard lui-même de son erreur, et imagina qu’il devait avoir vu une simple tache solaire.