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la question d’armement de la frontière fût envoyée au comité des affaires étrangères avant de passer au comité de la guerre. « Les rebelles, dit-il (c’est du moins la substance de sa pensée), ont un autre dessein dans ces pirateries que de voler quelques banques et de tuer quelques citoyens. Ils veulent nous mettre en guerre avec la Grande-Bretagne en faisant déborder la coupe déjà pleine de nos griefs et de ses injustices. Ne tombez pas dans ce piège, ne compromettez pas le succès de l’autre guerre, mais abattez l’insurrection, et du même coup vous aurez tout vaincu. »

On a trop souvent accusé l’Amérique de provoquer tous les peuples et de fouler aux pieds toutes les lois. Si nous consultions l’histoire de ces dernières années, nous verrions qu’elle sait tout aussi bien que ses aînées d’Europe se modérer devant la force ou s’incliner devant le droit. Quand on se rappelle que pendant la guerre de Crimée aucun pirate américain n’arbora le pavillon russe, on se sent moins disposé à donner à la neutralité anglaise la palme de la bonne foi. — Sans doute on ne verra jamais un journal autrichien, français ou russe, faire la vaine et ridicule menace d’une descente en Irlande et d’un démembrement de la puissance britannique ; mais cette écume superficielle n’altère pas le solide bon sens du peuple, et il serait peut-être à désirer que quelques-unes de nos savantes monarchies empruntassent à la démocratie américaine la sage politique de son fondateur : ne pas rechercher d’influences lointaines ni d’aventures ruineuses au-delà des mers.


23 décembre.

Voilà Noël et le jour de l’an qui arrivent avec leurs fêtes. Étant venu à New-York pour voir le monde, je devrais me jeter dans le tourbillon de cette société futile que l’hiver y rassemble, et où ma qualité d’étranger de distinction m’ouvrirait toutes les portes. Il me manque cette épreuve personnelle pour porter mon jugement sur le sujet infiniment délicat et fugitif des mœurs privées. Ces choses-là ne se lisent pas dans les livres, ne s’écrivent pas dans les constitutions, et je devrais profiter de l’occasion pour y jeter un coup d’œil ; mais j’ai une grande antipathie pour les relations de politesse pure. Je n’aime pas à solliciter la bienveillance des indifférens, je n’aime pas à payer de ma personne l’obligeance des gens que j’ennuie. Aussi ne suis-je allé encore qu’une seule fois en soirée.

C’était un de ces bals qu’on appelle ici classes de danse (dancing class), — véritables clubs de jeunes filles qui y viennent sans leurs mères, amenant qui leur plaît. On compte à New-York un grand nombre de ces petites coteries joyeuses qui se réunissent toutes les semaines chez une des sociétaires. Chacune arrive d’ordinaire flanquée de deux cavaliers : l’un d’eux, le plus intime et le plus