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27 décembre.

J’ai fait hier un second pèlerinage dans le New-Jersey, chez le général Mac-Clellan, car, si je suis en Amérique du parti du vainqueur, ce n’est pas une raison pour oublier les vaincus. Cette fois encore le général était absent, et je n’ai pu le voir ; mais le premier mot que j’ai entendu dans sa maison m’a vivement frappé : « bonnes nouvelles ce matin ! » Or ces bonnes nouvelles, c’est la prise de Savannah. Je sais des familles où ce succès des armes fédérales fait pousser des cris mal contenus. Chez le général, qui pourrait songer à sa carrière brisée, à la gloire dont les autres l’ont dépouillé, on dit : « Bonnes nouvelles ! »

C’est une grande nouvelle en vérité : non pas que le succès soit aussi complet qu’on aurait pu l’attendre ; une dépêche reçue la veille parlait de 13,000 prisonniers que le rapport officiel réduit à 800 ; le général Hardee a échappé avec la garnison. Cependant, quelque effort que fassent les journaux rebelles pour le déguiser, cette campagne peu bruyante et peu coûteuse a des résultats incalculables. La Géorgie, ce riche pays d’où le gouvernement de Richmond tirait tant de ressources, a été ruinée de fond en comble par le passage de l’armée de Sherman, armée composée de vétérans, habituée aux maux et aux représailles de la guerre, et peu pitoyable aux souffrances de l’ennemi. Depuis longtemps, le sud épuisé faisait illusion par son audace. Il y a six mois à peine, quand les rebelles menaçaient Philadelphie, Baltimore, assiégeaient pour la seconde fois la capitale, qui eût deviné combien était usée au dedans cette puissance qui paraissait invincible ?

Quand le général Sherman conçut, il y a deux mois, le projet hardi, téméraire en apparence, mais en réalité facile, de percer le cœur de la confédération et de s’y ouvrir un chemin jusqu’à la mer, il s’éleva beaucoup de prophètes qui prédirent que ce serait son tombeau : Hood devait lui couper la retraite ; son armée devait périr en détail dans les montagnes de la Géorgie ; il allait se mettre dans la gueule du lion. Les sceptiques hochaient la tête et souriaient de pitié. Plusieurs ne voulaient pas croire qu’il avouât son dessein véritable, et les journaux de Richmond mesuraient avec ironie les 300 milles qui séparent Atlanta des côtes de l’Océan. Il partit cependant, coupant ses communications, ses vivres, détruisant tout sur ses derrières, laissant à l’armée de Hood le pays libre et dévasté, et pendant six semaines on ne sut que par de vagues rumeurs, par des rapports venus de l’ennemi, le hasardeux progrès de l’expédition. Tout à coup la nouvelle éclate : Sherman est sur la côte ; il donne la main à la flotte, il prend le fort Mac-Allister, il assiège Savannah. Dans cette longue et triomphante anabase,