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de secours mutuels, qui interviennent si utilement dans les maladies, ne peuvent rien pour une infirmité prolongée, pour la vieillesse, pour les orphelins. Ainsi l’économie livrée à elle-même est admirable et impuissante ? l’épargne secondée par les pouvoirs publics est une belle institution dont on ne saurait trop louer les auteurs et qu’on ne saurait trop recommander à défaut d’une autre, mais elle n’est que le commencement du bien. Son grand mérite, qui n’est pas celui qu’on cherchait, a été de faire soupçonner la puissance de la mutualité. Et la mutualité, ce n’est pas la société de secours mutuels, c’est-à-dire l’ancienne société de malades améliorée et perfectionnée, c’est l’union légale et pacifique de toutes les petites forces pour en faire une grande. C’est ce qu’on appelait autrefois en France l’association et ce qu’on appelle aujourd’hui d’un nom nouveau qui ne change rien à l’affaire, — la coopération.


II

La théorie coopérative, appliquée à l’organisation de l’économie dans les dépenses et de l’épargne par le moyen de cette économie, n’est autre chose que l’élimination de tout intermédiaire entre le producteur et le consommateur. Il y a quelques années, différentes sectes demandaient l’élimination radicale et absolue du marchand : il n’est plus question de cela, on ne demande aujourd’hui qu’à se passer d’intermédiaires dans certains cas particuliers où l’on croit cette modification à la fois possible et utile. Tout le monde saisit du premier coup d’œil la profonde différence entre ces deux conclusions ; elles reposent cependant sur les mêmes prémisses, mais très mal appliquées par les ennemis du commerce et très bien comprises au contraire par les amis de la coopération.

Les marchands, — disait-on il y a trente ans, et même il y a quarante ans, — sont des intermédiaires inutiles entre le producteur et le consommateur. Le producteur et le consommateur sont rarement en rapports directs, non qu’il leur soit difficile de s’entendre, mais parce que le marchand s’interpose afin de les cacher, pour ainsi dire, l’un à l’autre. Le producteur vend son produit au marchand, et c’est aussi chez le marchand que le consommateur va le chercher. Cet intermédiaire, qui par lui-même ne produit rien, vit cependant de sa profession ; ses bénéfices consistent dans la différence entre le prix d’achat et le prix de vente. Il est clair que, si le producteur, au lieu de vendre au marchand, vendait au consommateur, il vendrait un peu plus cher, et que, si le consommateur achetait au producteur au lieu d’acheter au marchand, il achèterait un peu meilleur marché. Donc le marchand vit à la fois