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aux dépens du producteur et aux dépens du consommateur, et on réaliserait des deux côtés une économie en le supprimant.

L’état d’ailleurs, obligé de chercher des prétextes de fiscalité, en trouve un particulièrement commode dans l’existence de cet intermédiaire. Après avoir frappé le producteur d’un impôt, il atteint le marchand, soit par l’impôt d’octroi et de douane, soit par l’impôt des patentes, de telle sorte que, quand l’objet entre dans la consommation en sortant des entrepôts du marchand, il supporte, outre le bénéfice de celui-ci, la charge d’un double et triple impôt.

Enfin le marchand peut être trompé par le producteur ; il peut voir la denrée ou le produit manufacturé dépérir entre ses mains ; il peut être obligé de le garder longtemps et perdre ainsi l’intérêt du prix de la marchandise, celui de sa patente, de ses magasins et de tous ses frais en personnel, manutention, éclairage et publicité. Il peut s’être trompé dans ses prévisions d’écoulement, être évincé par une concurrence, ruiné par une faillite, mal payé par les acheteurs. Toutes ces chances défavorables s’apprécient, se chiffrent, se répartissent sur le contenu entier du magasin, et doivent être en définitive supportées par l’acheteur, chargé de faire vivre le commerçant et de l’indemniser de ses sottises.

On concluait de tout cela, il y a vingt ans, qu’il fallait supprimer le marchand, — conclusion par trop facile, ou pour mieux dire par trop naïve, — comme si le marchand n’était pas à la fois un banquier, une messagerie, une réserve et un agent de production ; un banquier pour le producteur, qui a besoin d’écouler en gros ses produits ; une messagerie, chargée de transporter la marchandise de l’endroit où elle est créée à l’endroit où elle est demandée ; une réserve, où le consommateur est toujours sûr de trouver à point nommé ce qu’il lui faut, sans subir les délais d’une recherche personnelle, sans être obligé de payer trop tôt et de garder trop longtemps ; enfin un agent de production, si le marchand déploie l’habileté spéciale du commerce, qui consiste à deviner les besoins, quelquefois à les faire naître et à imaginer des produits spéciaux pour les satisfaire. Non, il n’est ni possible, ni souhaitable de supprimer un tel intermédiaire ; mais il y a une grande différence entre rêver cette suppression, comme le faisaient plusieurs écoles socialistes, ou supprimer en effet pour certaines personnes placées dans des conditions particulières, et spécialement pour des ouvriers habitant le même quartier, ayant les mêmes habitudes et les mêmes besoins, un intermédiaire qui leur rend peu de services et frappe une dîme sur toutes leurs dépenses.

Il est même à remarquer que les ouvriers sont d’ordinaire en rapport avec de petits marchands. Or les petits marchands sont eux-mêmes dans une position analogue à celle de leur clientèle ;