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surtout en fabriques de draps, flanelles, fils et tissus de coton. C’est une de ces villes sans monumens, sans promenades, sans places publiques, même sans rues propres et régulières ; c’est une agglomération de fabriques réunies presque au hasard et de maisons d’ouvriers, d’un aspect triste et monotone, groupées autour des fabriques. Elle n’est du reste remarquable ni par le nombre de ses habitans, ni par sa richesse ; elle doit uniquement sa renommée, qui s’accroît tous les jours, à ses trois grandes sociétés coopératives. La première en date et en importance est une société de consommation fondée en 1844, à la suite d’une grève des tisserands en laine, par quelques ouvriers qui eurent recours à ce moyen pour s’affranchir de ce qu’ils appelaient la tyrannie du capital. Ils étaient pauvres, quelques-uns même étaient misérables. Cependant ils n’aspiraient alors à rien moins qu’à supprimer le marchand et le capital, à substituer la justice à la concurrence dans la fixation du prix de main-d’œuvre. Une expérience durement payée a depuis modifié leurs idées et remplacé des utopies généreuses par un sens pratique d’une portée vraiment admirable. Ils n’ont gardé de leur début qu’une foi énergique dans l’excellence de leur œuvre, une volonté persévérante, un sentiment profond de la justice. Ils n’étaient alors que quarante et ne purent mettre en commun qu’une somme de 28 livres (708 fr. 16 c.). Ils prirent le nom des équitables pionniers de Rochdale. Leur société fut d’abord inscrite comme société amicale (friendly society), mais le parlement ayant, en 1852, porté une loi qui donnait de plus grandes facilités aux sociétés coopératives (industrial and provident societies), ils résolurent, le 23 octobre 1854, de profiter des avantages de la législation nouvelle et se firent inscrire comme société industrielle. Leurs commencemens furent difficiles ; ils les ont racontés eux-mêmes dans leur Almanach pour 1860. C’est dans leur almanach qu’ils publient. chaque année autour du calendrier d’utiles conseils, des renseignemens précis sur la marche de leurs affaires, et quelquefois, comme en 1860, une courte notice sur leur passé et sur leurs espérances. « Il y a déjà quinze ans, disaient-ils en 1860, que quelques pauvres ouvriers de Rochdale pensèrent qu’il pouvait être possible d’améliorer leur condition en s’unissant pour acheter en gros les objets nécessaires à l’entretien de leurs familles. Cette idée bien simple rencontra beaucoup de difficultés dans la pratique. La première de toutes et la plus grave venait de l’extrême misère des fondateurs, qu’une récente grève avait privés de toutes leurs ressources et qui presque tous avaient été obligés de s’endetter. Les souvenirs de diverses sociétés coopératives promptement tombées en déconfiture jetaient de la défaveur sur la société nouvelle. Les boutiquiers, menacés dans leurs intérêts, ne tarissaient pas en