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sont des hommes en effet, et peut-être le plus grand service que la coopération puisse rendre est-il de faire des hommes.

Ceci nous amène à dire un mot de ce que dans les sociétés anglaises on appelle educational department, non pas que les livres et les cours publics valent à nos yeux l’enseignement qui résulte de la pratique des affaires, les leçons que les coopérateurs donnent et reçoivent tour à tour dans leurs assemblées trimestrielles et dans leurs comités ; mais ils rendent un service d’un autre genre, qui concourt puissamment à transformer les ouvriers et à élever le niveau intellectuel et moral des ateliers. Indépendamment des improvement societies et des mecanics institutes qui ont leur vie propre, les sociétés coopératives ont leur educational deparlment, dont le budget est toujours considéré par elles comme une dépense de premier ordre qui doit être soldée avant tout partage de dividendes. Cette dépense est fixée par la plupart des règlemens à 2 1/2 pour 100. Un comité spécial est chargé d’en diriger l’emploi. Il ne s’agit pas, comme on pourrait le croire, de fonder des écoles pour les enfans des associés ; l’éducation dont les sociétaires se préoccupent est l’éducation des sociétaires eux-mêmes. Comme la plupart des statuts déclarent dans leur premier ou dans leur second article que « cette société est fondée pour procurer l’avancement intellectuel et moral des ouvriers, » en ajoutant, il est vrai, qu’elle procurera cet avancement « en facilitant l’acquisition à prix réduits des épiceries, du charbon et de la farine, » il ne faut pas s’étonner de les voir invariablement constituer une sorte de club littéraire, comprenant une bibliothèque, un salon de lecture pour les journaux, assez souvent des conférences publiques, et presque toujours des réunions périodiques où l’on sert du thé, où l’on chante, où l’on danse, mais où l’on fait aussi des discours. Plusieurs de nos associations françaises ont aussi leurs fêtes, et quelques-unes, mais en très petit nombre, ont leur bibliothèque. La société d’approvisionnement de Manchester ouvre sa library au public. Celle de Rochdale n’est accessible qu’aux associés, et comprend déjà sept mille volumes. On y trouve une quantité remarquable de journaux. La liste en est affichée dans le reading-room, et, pour faciliter le choix des lecteurs, le nom de chaque journal est suivi d’une qualification dont voici la curieuse nomenclature : — libéral, — conservative, — independent, — neutral, — religious, — démocratic, — light. Voilà de l’éclectisme sincère et sans prétention. L’inspection des registres du bibliothécaire donne les résultats suivans : on demande : 1° des romans (surtout Bulwer), 2° des livres d’histoire, 3° des pièces de théâtre (surtout Shakspeare). Enfin la bibliothèque contient ordinairement les meilleurs livres de toutes les sectes religieuses. Ils sont là côte à côte sur les rayons, et ceux qui les lisent