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ne deviennent pas les ennemis de leurs associés d’une autre secte.

Nous avons parlé surtout de la société de Rochdale, parce qu’elle est la première en date, ce qui n’est pas un mince honneur. Il ne faut pas oublier que presque toutes les villes manufacturières du Lancashire et du Yorkshire ont leurs stores coopératifs avec des institutions analogues.

Il y a aussi des associations de consommation en France, et même depuis longtemps. Nous avions, bien avant la révolution de 1848, la société de Grenoble, fondée par M. Frédéric Taulier : société fortement conçue, capable de rendre de grands services, mais qui s’est volontairement renfermée dans la question d’économie domestique. Le mouvement coopératif a fait naître plusieurs sociétés : deux à Paris, qui ne datent que d’hier. L’une a son siège à Passy, l’autre rue de Montmorency, n° 36. Lyon en compte 16 ou 18, dont quelques-unes très prospères. Lyon semble fait à souhait pour la coopération, il y a là beaucoup de fraternité, beaucoup de sens, beaucoup d’énergie ; mais quoi ? dix-huit sociétés, même pour une grande ville, c’est peut-être dix-sept de trop ! Aucune de ces 18 sociétés ne fondera un moulin et une filature de coton, comme la société unique de Rochdale. Il y a des sociétés de consommation à Pau, à Pouilly-sur-Loire, à Montereau, à Saint-Étienne, à Elbeuf, à Alger, à Guebwiller, à Dieuze. Il y en a une très importante au Havre, une à Marseille, moitié société de consommation, moitié société de crédit mutuel, la Société provençale d’approvisionnement, de consommation et de crédit, une autre à Mulhouse, qui n’a point de magasins spéciaux, et qui s’est assuré par des traités avec les fournisseurs des remises de 5, 6 et 7 pour 100. La société de Mulhouse perçoit directement ces remises et les capitalise au profit des acquéreurs qui font partie de l’association. C’est à peu près, par des moyens différens, le même mécanisme qu’en Angleterre. Cependant jusqu’ici la plupart de nos sociétés coopératives ont été créées uniquement pour faciliter l’économie ; elles sont un but : Rochdale est un moyen. Ne les dédaignons pas pourtant ; le tout est de commencer. Puisque les ouvriers français visent surtout aux sociétés de production, qu’ils n’oublient pas qu’il leur faut d’abord un capital, qu’il faut le demander à l’épargne, et que l’épargne ne peut se faire utilement que par les sociétés de consommation taillées sur le patron de Rochdale. Qu’ils n’oublient pas surtout une chose : ce sera notre dernier mot. Toute réforme doit commencer par la réforme morale, toute association doit être fraternelle. C’est une grande gloire pour une institution de ne pouvoir vivre et se développer qu’à force de probité, de générosité et de courage.


JULES SIMON.