Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 61.djvu/220

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

grossière des classes inférieures, d’où naissent le désordre, la misère et le crime ? Pour assurer le maintien de l’ordre et le respect du droit, il faut donc répandre les lumières. Supprimez l’école, il ne reste plus comme moyen d’ordre que la prison et l’échafaud. Si l’état n’instruit plus, il faut qu’il effraie. On n’a que le choix entre le bourreau et le maître d’école. Jadis l’état n’employait que le premier ; bientôt peut-être il n’emploiera plus que le second. Eh quoi ! la société aurait le droit de punir celui qui viole ses lois, et elle n’aurait point celui de les enseigner, de les faire comprendre à tous ? Elle pourrait payer certains fonctionnaires pour condamner et poursuivre ceux qui portent atteinte à ses institutions, et il lui serait interdit d’en payer d’autres pour expliquer quelles elles sont ? Obligée d’entretenir des gendarmes, il lui serait défendu de rétribuer des instituteurs ? Non, ce serait trop absurde : comme l’a dit Macaulay en un mot qui résume tout ce débat, celui qui a le droit de pendre a le droit d’enseigner.

Le rapport de cause à effet qui relie l’ignorance à la criminalité est maintenant un fait démontré par les chiffres exacts de la statistique. A mesure que l’enseignement a fait des progrès dans un pays, le nombre des délits a diminué[1] ; donc tout l’argent employé à bâtir des écoles sera épargné à bâtir des prisons. Mais une fois ce point établi que l’état a le droit d’enseigner et qu’il en a la capacité, il n’en résulte pas encore qu’il soit opportun et nécessaire qu’il enseigne, car on peut prétendre que la liberté et l’initiative individuelle fourniront une instruction meilleure que l’enseignement officiel. C’est donc ce second point qu’il faut examiner maintenant, et comme il s’agit ici d’une question de fait, c’est par l’examen des faits qu’il faudra la décider.

  1. L’intéressant rapport de M. Duruy sur l’instruction primaire en France donne à ce sujet des chiffres concluans. Ainsi le nombre total des accusés pour crime âgés de moins de vingt et un ans, qui avait diminué seulement de 235 de la période décennale 1828-1836 à la période décennale 1838-1847, a décru de 4,152, c’est-à-dire presque dix-huit fois plus, de la période 1838-1847 a la période 1853-1862. En 1847, on comptait 115 jeunes gens de moins de seize ans traduits en cour d’assises ; en 1862, il n’y en eut que 44. En Allemagne, en Prusse, à mesure que l’enseignement s’améliore et se répand, le nombre des crimes diminue. Dans les prisons de Vaud, de Neufchatel, de Zurich, il y a 1 ou 2 détenus ; souvent elles sont vides. Dans le pays de Bade, où depuis trente ans on a beaucoup fait pour l’instruction du peuple, de 1854 à 1861 le nombre des prisonniers est tombé de 1,426 à 691 ; aussi supprime-t-on des prisons. La Bavière, tristement fameuse par le nombre des naissances illégitimes, en voit enfin diminuer le chiffre humiliant.