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bienne de M. Meilhac, tombait au Gymnase pour s’être laissé prendre à si ingrat sujet ! Un caractère étrange, singulier, distingue pourtant ce drame d’Henriette Maréchal : l’inexpérience absolue unie au plus imperturbable aplomb. Jamais on ne vit sujet plus vieux traité d’une façon plus jeune ; c’est l’enfance de l’art, et le naïf par endroits n’est même point sans grâce. Tandis que dans l’invention de la pièce tout vous rappelle l’idée d’autrui, l’exécution vous livre à chaque pas des moyens d’un primitif incomparable. Les entrées et les sorties se font sans que rien les commande, sinon le bon plaisir des auteurs, lesquels se tirent d’embarras en évoquant un domestique ou une dame de charité de circonstance : « Monsieur, c’est votre déjeuner ; madame, ce sont vos pauvres ! » Il n’en faut pas davantage au Théâtre-Français pour se débarrasser des personnages qui nous gênent et ménager à discrétion les tête-à-tête. Otez à Mme Maréchal son domino de bal masqué, et vous avez Adèle d’Hervey tombant en pâmoison aux bras d’Antony, d’un Antony bébé : mêmes tirades, mêmes boursouflures ; toute la différence est dans la question d’âge. Paul de Bréville a dix-neuf ans, Mme Maréchal en a quarante : passion de matrone à jouvenceau, trame odieuse où se prend, comme un moucheron dans une toile d’araignée, le cœur d’une jeune fille qui aime l’amant de sa mère et meurt en s’accusant d’une honte dont sa virginale innocence n’a pas rougi d’instruire le procès.

Cette pièce sans invention et sans style, où la jeunesse surtout manque, ne pouvant réussir, a fait scandale. Au lieu de laisser ce qui était si médiocre s’enfoncer tout naturellement dans le silence et l’ombre, la cabale est accourue en troupe, comme s’il s’agissait de venger la morale publique. On a parlé d’influences de salon habilement mises en jeu ; bref, on a poursuivi et sifflé comme d’abus. Nous ignorons, cela va sans dire, ce qu’il pouvait y avoir de vrai dans ces sortes de récriminations, qui, fussent-elles justes, ne sauraient, en bon droit, porter d’avance atteinte à la fortune d’un ouvrage. Une pièce au théâtre doit avoir pour première condition de se faire à elle-même sa destinée et de ne point dépendre des circonstances plus ou moins contraires, plus ou moins favorables, qu’elle aura traversées pour arriver. Bonne, elle réussit ; mauvaise, elle tombe. Le nom de l’auteur n’y fait rien, puisque, ce nom ne figurant point sur l’affiche au jour de la première représentation, la fiction veut que le public appelé à juger la chose ne le connaisse même pas. D’ailleurs, sur ce sujet d’une intervention officieuse, la lettre du directeur du Théâtre-Français publiée dans la préface de la pièce imprimée répond à tout. Un directeur de théâtre, au temps où nous vivons, est maître chez lui, tout le monde sait cela, et s’il n’était point libre de jouer les chefs-d’œuvre de son goût, autant vaudrait pour lui se retirer dans quelque bonne bibliothèque de l’état. Cette lettre prouve qu’en recevant le drame d’Henriette Maréchal, le directeur a agi dans la plénitude de son indépendance : généreuse et noble initiative,