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gouvernement et une nation, de ne point sentir sous ses pieds les instincts et les théories communistes.

En second lieu, ils ne sont point voltairiens. Le commis voyageur philosophe et lecteur de Béranger n’est pas chez eux un caractère fréquent ou populaire. Les violences du journal le Diritto sont désapprouvées. Ils sont trop imaginatifs, trop poètes, et outre cela doués d’un trop grand bon sens, trop pénétrés des nécessités sociales, trop éloignés de notre logique abstraite, pour vouloir supprimer la religion, comme nous l’avons fait en 92. Ils sont élevés à voir des processions, des tableaux de sainteté, des églises pompeuses ou nobles ; leur catholicisme fait partie des habitudes de leurs yeux, de leurs oreilles, de leur imagination, de leur goût ; ils en ont besoin comme ils ont besoin de leur beau climat. Jamais un Italien ne sacrifiera tout cela, comme fait un Français, à un raisonnement de la cervelle raisonnante ; sa façon de concevoir les choses est tout autre, bien moins absolue, bien plus complexe, bien moins propre aux démolitions brusques, bien mieux accommodée : au train courant du monde. Voilà encore une assise solide ; ils bâtissent sur une religion et sur une société intactes, et ne sont point obligés, comme nos politiques, de se prémunir contre les grands effondremens.

D’autres circonstances ou traits de caractère sont moins favorables. L’énergie manque en Toscane encore plus qu’ailleurs. En 1859, le pays a fourni douze mille hommes contre les Autrichiens, encore y en avait-il six mille de l’armée précédente, — en tout six mille volontaires, — et beaucoup sont revenus. On compte quelques héros, des gens comme M. Montanelli, qui cherchaient les balles ; mais quant à la masse, la discipline les incommode, la dureté de la vie militaire les étonne, ils ne trouvaient pas leur café au lait le matin. A Florence, les mœurs depuis trois cents ans sont épicuriennes ; on ne s’inquiète ni de ses enfans, ni de ses parens, ni de personne ; on aime à causer et à flâner, on est spirituel et égoïste. Dès qu’on a quelque petit revenu, on se drape dans son manteau et on va bavarder au café. — D’autre part, la domination des habitudes et de l’imagination empêche les opinions religieuses de devenir nettes. Ils ne voient pas clair dans cette question catholique. Nul ne se fait au préalable son symbole arrêté et personnel comme en France au XVIIIe siècle ou en Allemagne au temps de Luther ; le raisonnement et la conscience ne parlent pas assez haut. Ils disent vaguement que le catholicisme doit s’accommoder aux besoins modernes ; mais ils ne précisent pas les concessions qu’il doit faire ou qu’on, doit lui faire, ils ne savent pas ce qu’ils peuvent exiger ou abandonner. On a eu le tort grave en 1859 de ne pas instituer le mariage civil