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d’erreur la collection elle-même votera sous l’œil d’une commission de surveillance. Qui surveillera cependant la commission de surveillance ? car à moins qu’elle n’ait dans sa poche un brevet d’infaillibilité, elle pourrait bien commettre un abus de pouvoir. Presse libre d’ailleurs, totalement libre, sous la seule réserve de la même commission, cette fois de censure ! Quant à l’église, Proudhon la fond dans l’état, l’état pape et empereur, l’évêque préfet de police. Voilà la lanterne magique,… où est la bougie ?

Ce n’est pas que cette œuvre décousue, tirée en longueur, n’ait de temps en temps une page de lyrisme. La page est en général la gloire de Proudhon ; quand une pensée lui porte à la tête, il a un coup de sang d’éloquence. Il y a, entre autres beautés de style, une tirade sur la mort qui donnerait envie de mourir. La police correctionnelle a cru devoir condamner cet ouvrage pour attaque à la religion ; la catholique Belgique l’a réédité depuis, et il n’y a pas un Belge de plus ou de moins qui aille à confesse. L’auteur, frappé d’une peine énorme, passa la frontière et alla rejoindre à Bruxelles l’ombre « sans gloire » de Michel de Bourges. A dater de ce jour, sa verve décline ; le soir vient déjà, l’ombre tombe sur sa route, et au crépuscule anticipé de son esprit il publie un jeu de mots en deux volumes : le Droit de la force et la Force du droit. Chaque faculté, dit-il, porte en elle son droit ; or la force étant une faculté,… on tire d’avance la conclusion. Il n’y a rien à reprendre au syllogisme, sinon que la force n’est pas une faculté, qu’elle est une arme, que, ni bonne ni mauvaise en elle-même, son droit dépend uniquement de l’idée qui la met en action. Du droit de la force à l’éloge de la sainte-alliance il n’y a que l’épaisseur de la cause à l’effet. Proudhon applaudit à l’acte qui traita l’Europe comme une ville prise d’assaut et la mit à sac : à toi cette province, à moi l’Italie ! Or au moment même où Proudhon répétait le mot du premier empire, que force signifie justice, la Pologne, écartelée de nouveau, râlait sur son fit de torture, la gorge ouverte et la tête pendante. Proudhon trempe son doigt dans la blessure, et avec le sang encore chaud de la victime il signe la quittance du bourreau.

Quelque temps après, il obtient sa grâce et il revient à Paris. La France allait renouveler le corps législatif pour la seconde fois. Que fera la démocratie ? Jusqu’alors, elle s’était abstenue. La chambre, réduite à sa plus simple expression, n’avait qu’une publicité restreinte ; une opposition entre quatre murs ne pouvait guère servir la liberté. Et cependant à cette époque Proudhon avait hautement blâmé la réserve de la démocratie. Il avait représenté l’abstention soi-disant vertueuse comme une lâcheté. « Nous avons trop d’intérêts engagés au corps législatif, disait-il, pour avoir le droit de nous tenir à l’écart. » Le général Cavaignac, élu à Paris, avait