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songe à faire son examen de conscience. A partir de l’année où il a tenu là plume pour la première fois, il a toujours excommunié la propriété. Il l’avait dans le temps assimilée à la bête du cirque et il avait annoncé sa mort prochaine. « Ave, morilura, lui avait-il crié, tu vas passer par mes mains, » et il avait affilé sur la pierre sa lame de gladiateur. Proudhon a eu le temps depuis lors de remettre la question à l’étude. Il la voit en vieillissant sous un autre aspect, et après ample examen il réhabilite la propriété. — Pour ses bienfaits peut-être ? Pas tout à fait encore. Il lui faut bien ménager l’amour-propre de ses premières critiques. Il justifie la propriété par ses abus, il la proclame sacrée précisément parce qu’elle est abusive. Son vice, voilà sa vertu ! « La propriété, dit-il, constituée contre toute raison de droit, peut être considérée comme le triomphe de la liberté. C’est la liberté qui l’a faite, non pas comme il semble au premier abord contre le droit, mais par une intelligence bien supérieure du droit. » A la bonne heure ! que ne le disait-il plus tôt ?

Eh quoi ! il lui a fallu vingt ans pour faire cette découverte que la propriété, abusive en elle-même, tirait sa légitimité de ses propres abus, et après l’avoir maudite, après l’avoir revomie avec je ne sais quelle horreur apocalyptique, il soupçonne tout à coup, comme par hasard, in extremis, qu’elle constitue un droit supérieur au droit, le droit même de la liberté, et après une erreur si prodigieuse, suivie d’un plus prodigieux erratum, l’adversaire repenti de la propriété trouve le moyen de chanter un magnificat à la gloire de son génie, et mieux encore le moyen de prouver qu’il n’a pas varié d’opinion. Et savez-vous comment ? En opposant le principe à la fin, comme si le principe ne contenait pas la fin, du moins en principe. Oui, comme principe, la propriété restera illégitime ; mais, comme fin, elle devient équitable. Il suffit qu’on la prenne par un bout ou par l’autre pour qu’on ait tour à tour la permission de la maudire ou de la bénir. Proudhon n’avait vu d’abord que le principe, et il avait dit : C’est le vol ; aujourd’hui il voit la fin, et il lève le séquestre qu’il avait mis sur la propriété. Et maintenant que la fin lui apparaît et le contraint à proclamer la vérité qu’il avait niée, croit-il donc mettre sa responsabilité en règle par une simple pirouette ? Nous pouvons tous nous tromper sans doute, mais c’est un devoir pour nous de faire amende honorable de notre erreur ; la reconnaissance du tort commis est une forme de la dignité humaine et comme la rançon de la conscience.


V

Il faut finir. Proudhon avait pris pour devise : destruam et œdificabo. Qu’a-t-il détruit ? Rien. Qu’a-t-il édifié ? Rien encore ; l’écho