Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 61.djvu/410

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pôle, l’Océan-Glacial était au siècle dernier presque aussi fréquenté pendant l’été que l’Atlantique sur les côtes de l’Europe. Acharnés à la poursuite de la baleine, devenue moins commune, les pêcheurs s’avançaient à sa suite dans les hautes latitudes, et quelques-uns, comme Frédéric Martens et Scoresby, avaient fait connaître ces mers, que la plupart ne visitaient que pour exploiter les richesses que la faune arctique offre au commerce et à l’industrie.

Parlons maintenant des voyages dont le pôle nord était le but direct ou indirect. Les premières tentatives directes remontent à 1607. De notables commerçans de Londres envoyèrent Henry Hudson pour s’assurer si l’on ne pourrait pas se rendre directement en Chine et au Japon en passant par le pôle. Parti de Gravesend le 1er mai, sur un petit navire appelé Hopewell, Hudson reconnut le Spitzberg le 27 du même mois et s’avança jusqu’au nord de l’île ; les glaces flottantes étaient nombreuses et compactes, et il fut forcé de s’arrêter par 80° 23’ de latitude. Le 16 août, il vit une terre qui s’étendait, suivant son estime, jusqu’au 82e degré ; il espérait trouver une mer libre entre la banquise et la côte, mais tout était obstrué de glaces, et il prit le parti de revenir. En 1609 et 1611, Jonas Poole reçut de la compagnie du commerce russe (muscory company) la mission de s’approcher le plus possible du pôle nord. La première fois il ne put dépasser 79° 50’, et la seconde fois il se heurta par 80 degrés contre une barrière de glace qui s’appuyait sur la côte du Spitzberg : il la prolongea dans l’ouest pendant environ 120 lieues, sans trouver une issue pour s’élever davantage dans le nord. En 1614, ces tentatives furent renouvelées par deux navigateurs célèbres, Baffin et Fotherby, commissionnés par la même compagnie ; ils ne furent pas plus heureux que leurs devanciers et déclarèrent à leur retour qu’ils ne croyaient pas à la possibilité de dépasser la barrière de glace qui unit le Spitzberg au Groenland. Cette affirmation, provenant de marins aussi expérimentés et à la suite de quatre tentatives inutiles, mit fin aux entreprises de la société.

Depuis un siècle et demi, les Anglais semblaient avoir renoncé à étendre le champ de leurs découvertes dans les mers polaires, lorsqu’en février 1773 la Société royale.de Londres présenta au roi George III une requête pour l’engager à envoyer une expédition dans le nord afin d’examiner jusqu’où l’on pourrait s’approcher du pôle boréal. Le 21 mai suivant, deux navires, le Race-Horse et le Carcass, étaient prêts à mettre à la voile. Jean Constantin Phipps, depuis lord Mulgrave, commandait le premier comme chef de l’expédition ; le capitaine Lutwidge était le capitaine du second. Un astronome, M. Lyons, et un physicienne docteur Irving, furent adjoints aux états-majors. D’Alembert et Joseph Banks donnèrent leurs