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encore le gros des démocrates. Le respect de l’Union et la volonté de la maintenir sont les grands mobiles qui poussent l’opinion publique, et qui finiront par la rendre unanime quand les événemens auront mûri. Quel meilleur exemple de patriotisme que celui de ces hommes qui, mettant de côté les griefs et les rancunes du passé, ne demandent en retour de leurs sacrifices que la réciprocité du pardon et de l’oubli ! Ils ont le droit de réclamer leur part d’honneur dans la révolution, qu’ils servent de leurs efforts autant et plus peut-être que ceux qui, l’ayant toujours voulue, triomphent de son succès. Comme chez nous en 89, ce sont les privilégiés eux-mêmes qui détruisent l’ancien régime, — et les plus acharnés défenseurs de l’esclavage viennent des états qui l’ont dès longtemps aboli. L’Amérique, après son 93 militaire, marche à grands pas vers un 89 pacifique. Mieux vaut assurément conquérir les droits de l’homme par la guerre civile que de les perdre comme nous dans une anarchie sanguinaire. Le canon vaut encore mieux que la guillotine : il abaisse moins le caractère des peuples. La France est sortie du premier empire avec un grand besoin de liberté ; elle était sortie du règne de la convention avec un servile et impérieux besoin de despotisme. Chez nous d’ailleurs, les idées ont marché avant les choses et ont éclaté comme une mine, ne laissant plus que des débris. Ici elles ont suivi les événemens, et surviennent à temps pour cimenter l’édifice des choses nouvelles. L’avenir nous dira ce qui vaut le mieux.

Je ne vous parle pas d’un orateur braillard, un de ces hommes qui ne croient pas être éloquens tant qu’ils n’ont pas le visage bleu et les yeux injectés, — qui vint ensuite débiter contre l’esclavage un certain nombre de déclamations banales. — Le dernier incident de la séance a été une courte allocution de M. Stevens, l’auteur fameux du bill de l’or, qui cette fois se levait pour répondre à une allusion personnelle de M. Pendleton. Du premier mot j’ai pu reconnaître un orateur. M. Stevens est un vieillard énergique et vigoureux, mais dont la figure expressive, hautaine, aux yeux enfoncés, est sillonnée de rides profondes. Une perruque assez maladroite, qui répand des boucles brunes sur son front chauve, ne peut cependant lui donner l’air grotesque de ceux qui cherchent à se rajeunir. Et lorsque, rappelant son passé, sa constance dans ses opinions, il parle de sa « vieillesse affaiblie, » sa voix chevrotante et plaintive justifie cet appel au respect de tous. Sa phrase est pleine, aisée, nerveuse, toujours sûre d’une fin. Droit et immobile quand il parle, sobre de gestes, tout l’accent de son éloquence est dans le ton et dans le regard. Il est un des derniers de cette vieille génération d’orateurs qui comptait les Clay, les Webster et les Calhoun, et dont la manière digne et fière ressemble si peu aux gesticulations