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fantaisie, nées dans l’imagination des philosophes, comme les épopées et les drames dans l’imagination des poètes : ils n’ont aucune valeur objective. L’histoire des systèmes n’est qu’une partie de la littérature. C’est là évidemment une théorie très superficielle et qui efface tous les caractères principaux des faits qu’il s’agit d’expliquer. Il y a une très grande différence entre les systèmes des métaphysiciens et les œuvres des poètes. Je ne parle pas seulement de la différence de forme, qui est déjà quelque chose de considérable. Il y en a une bien plus importante, et qui est dans la conscience même des uns et des autres. Le poète veut créer, le métaphysicien veut expliquer. Le poète n’a pas besoin que son œuvre ait un objet en dehors de lui : c’est un monde qu’il ajoute au monde, c’est une création dans la création. Le métaphysicien au contraire prétend représenter la nature des choses. Si son œuvre n’a pas d’objet, elle périt par cela même. Or d’où vient cette croyance du métaphysicien, et comment une si grande illusion serait-elle possible, s’il n’y avait en dehors de nous aucune donnée qui justifiât cette supposition fondamentale de toute construction systématique ? D’ailleurs soutenir que toutes ces explications prétendues ne sont que des créations arbitraires, est-ce autre chose que le point de vue sceptique, c’est-à-dire précisément un des systèmes qu’il s’agit d’expliquer ? Admettre cette explication, ne serait-ce pas absorber tous les autres systèmes au profit d’un seul ?

On peut donner de l’existence des systèmes en philosophie une explication plus scientifique et plus profonde en disant qu’ils ne sont que des hypothèses provisoires destinées à lier les phénomènes connus, à en rendre compte dans la mesure de notre expérience et de notre science, à susciter même la recherche de faits nouveaux et inconnus qui viennent soit vérifier, soit renverser l’hypothèse reçue. A mesure que les sciences font plus de progrès, il faut avoir recours à des hypothèses de plus en plus vastes qui sont renversées par d’autres, et ainsi de suite à l’infini. Selon cette vue, les systèmes ne sont que des machines destinées à rassembler les richesses acquises et à en susciter de nouvelles. Ils n’ont point de valeur en eux-mêmes, et représentent seulement les divers degrés de notre science de la nature. Cependant ce ne sont pas de pures conceptions arbitraires, comme dans le cas précédent : ce sont des points de vue relativement vrais, mais dont la vérité s’évanouit dans une synthèse plus large, qui n’a elle-même qu’une part de vérité relative. Cette seconde explication des systèmes, beaucoup plus satisfaisante que la première, n’en vient pas moins échouer devant deux faits. D’abord les hypothèses les plus vastes sont précisément celles qui se sont présentées les premières. En second lieu, le progrès